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 Christmas Spirit [Yoko]

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Nathan Weathers


Nathan Weathers

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MessageSujet: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 26 Déc - 2:07

« C'est le meilleur cadeau de Noël qu'on m'ait fait de toute ma vie, Monsieur Weathers.
Allons, n'exagérons rien, vous vous en seriez sorti même si je n'avais pas été là, j'en suis sûr.
– Je suis très ému, j'avais vraiment besoin de cet emploi, vous savez.
Oui, probablement plus que n'importe qui, n'est-ce pas ?
– Oh, oui, c'est sûr. »

Le jeune homme, un grand gaillard en chemise rose pâle, engoncé dans un costume gris, consent finalement à lui relâcher les phalanges qu'il broyait dans sa poigne depuis de longues secondes maintenant. Il y a une petite crispation, presque imperceptible, le long de la mâchoire de Nathan mais il s'efforce de garder au fond des yeux un sourire poli.

« Oui, hm mh. Bon, alors on se voit lundi. Monsieur Henderson ?
– Appelez-moi Kevin. Lundi sans faute, Monsieur. Bonne soirée ! Et merci !
Attention, le tap- oula. »
Kevin se rétablit maladroitement sur ses jambes, alors que Nathan s'était presque rué vers lui pour l'empêcher de déraper. Il grimace dans un bref élan de compassion. « Ça va ?
– Très, très bien, Monsieur, ça va ! Ça va !
Alors joyeux Noël, Kevin. Rentrez bien. »

Dans un dernier sourire, Nathan ouvre la porte vitrée du cabinet sur son nouveau réceptionniste qui descend joyeusement les marches pour aller retrouver son scooter garé sur le trottoir. Il referme la porte en grommelant dans sa barbe.

« Plus que n'importe qui, ouais. Pff. Qu'est-ce qu'il faut pas entendre... »

Il renifle avec un vague mécontentement et travers le petit couloir du hall pour retrouver l'intérieur tapissé de livres de son bureau.
Il se sent mal à l'aise et il a du mal à identifier pourquoi. Il referme bien la porte derrière lui pour ne pas laisser s'échapper la chaleur et réfléchit laborieusement en faisant traîner ses chaussures cirées sur la moquette. Il n'avait peut-être pas pris cette histoire de recrutement au sérieux. Il avait suffi que celui-là lui fasse des yeux de cocker pendant tout l'entretien pour obtenir un emploi de sa part – et peut-être que ce n'était pas suffisant.

« Enfin... Toute cette histoire fait au moins un heureux, ça ne compte pas pour rien. »

Il se poste devant l'immense fenêtre carrelée de son bureau et plonge ses mains dans les poches de son pantalon de costume bleu marine. La lune très pâle paraît de mieux en mieux, découpée dans le violet du ciel, tandis que le soir descend doucement dans les rues enneigées de Philadelphie. C'est le 22. Les passants courent de toute urgence faire leurs derniers achats de Noël, emmitouflés dans leurs passe-montagnes et leurs manteaux. Les guirlandes lumineuses du commerce d'en face miroitent sur ses carreaux et au milieu de leur scintillement coloré, Nathan croise son propre regard qui le scrute avec une sévérité absolue. Il pousse un soupir très agacé et pointe un doigt vers son reflet.

« Non. Ne me regarde pas avec ses yeux-là, toi. » Il prend une inspiration et lisse les pans de sa veste d'un petit geste sec. « Non, non, Monsieur. C'est une bonne nouvelle. Tu vas le vivre comme une bonne nouvelle. Aujourd'hui tu as créé un emploi et tu as donné du travail à un chômeur. »

Il hoche la tête avec autant d'assurance qu'il le peut, mais le regard de son reflet ne faiblit pas pour autant. Ça le pique d'une légère impatience et il s'en détourne tout à coup pour commencer à aller et venir dans le bureau.
C'était la première personne qu'il engageait de sa vie. Bien sûr, il avait fallu enrôler des associés pour ouvrir ce cabinet mais ça n'avait pas grand-chose à voir. Il n'avait pas le souvenir de s'être fait tant de nœuds au cerveau.
Alors quoi ?

« Qu'est-ce qu'on s'en fiche qu'il soit blanc... et... excusable aux yeux des collègues... » Il grimace, en défaisant à demi le nœud de sa cravate. « ...et du Boston Herald... employable par toutes les boîtes de la ville... »

Il s'arrête soudain au milieu de la pièce, un peu pâle.
Évidemment. Il ne se rappelait même plus du contenu de son CV, à ce zouave. Et s'il fallait tout s'avouer, peut-être même qu'il ne l'avait pas tout à fait écouté dans toute la demi-heure où il lui avait vendu son baratin. Il n'avait même pas réfléchi à rencontrer d'autres candidats.
Il avait pris celui-là parce qu'on ne le lui reprocherait pas.
Il l'avait pris parce qu'il fallait bien appliquer un baume au coup qu'avait pris sa réputation.
Kevin Henderson était grand, blond, souriant, il avait d'immenses yeux bleus rehaussés par une paire de lunettes dont il ne savait pas, au final, si elles lui donnaient l'air benêt ou la mine présentable. Qu'est-ce que ça pouvait bien signifier, au juste, avoir un profil présentable ? Il n'en avait fichtrement aucune idée. Et, présentement, il avait comme la désagréable impression d'avoir été floué quelque part ou d'être tombé dans le panneau.

« Mon dieu, est-ce que c'est ça, faire de la discrimination à l'embauche ? »

Cette histoire de racisme anti-blanc lui était montée à la tête. Maintenant qu'il y pensait, il n'avait plus que ça à l'esprit depuis ces deux dernières semaines. Et c'était ridicule – c'était parfaitement grotesque, parce qu'en aucune façon il n'avait le pouvoir de ruiner la vie des blancs dans ce pays comme les institutions ruinaient si ordinairement celle des noirs. S'il avait engagé un noir, la face du monde n'en aurait pas été changée. On aurait encore dit qu'il privilégiait sa communauté par tous les moyens et le cabinet n'aurait pas bénéficié de la vitrine WASP si rentable et si chère à ses collègues, au Boston Herald et à ses parents, mais qu'est-ce que ça pouvait bien faire ?
Qu'est-ce qu'il lui avait pris d'embaucher ce garçon ? Il aurait pu descendre à West Philadelphia et en attraper un – ou une – par le col qui avait davantage besoin qu'on lui offre une chance que ce Kevin Henderson. Il aurait simplement pu s'y prendre plus sérieusement et rencontrer d'autres personnes, au lieu d'engager le premier venu.

Il venait de faire une bêtise.

Le triste crachotement d'un scooter qu'on démarre parvient soudain à Nathan, derrière lui, du côté rue. Il se retourne d'un bloc, presque paniqué, et se précipite à la fenêtre pour l'ouvrir à toute vitesse et se prendre une bourrasque de flocons à la figure.

« Hey ! Attendez ! »

Mais le pot d'échappement du scooter rouge ne lui tousse qu'un flot de fumée noire en réponse et Kevin Henderson a déjà filé parmi la circulation entre quelques coups de klaxons courroucés. Une inhabituelle vague de colère s'engouffre dans les poumons de Nathan et il referme vivement sa fenêtre, avant de se retourner vers son bureau en frémissant de la tête aux pieds.

« Ah, bravo, Nathan ! Ta mère a raison en fin de compte, tu fais vraiment n'importe quoi en ce moment ! »

Il était distrait, déconcentré, il se laissait influencer par n'importe qui, il pensait à l'envers et il allait à reculons ! Qu'est-ce qui lui prenait, nom d'un chien ?


Dernière édition par Nathan Weathers le Sam 15 Avr - 17:28, édité 1 fois
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Yoko Ogawa


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 26 Déc - 3:25

« You’re a… mean one… Mister Grinch »

Je plisse les yeux, un peu contrariée par la prononciation des mots que je me suis pourtant efforcée d’apprendre par cœur.

« You… really… are a… an… » Plink. Plonk. J’arrive au bout de ma mesure de ukulélé, mais les mots raccrochent, sur mes dents, et ma langue, et mon palais, et le silence se fait pendant quelques secondes, avant que la note suivante ne vienne me délivrer. « Heeel… »

C’est à en devenir chèvre. J’ai beau froncer et forcer, et répéter encore et encore, je suis à mille lieues des jolies boucles d’anglais, et de la prononciation toute veloutée de la chanson originale. C’est très frustrant.
Les autres filles, elles y arrivent bien, elles. D’ailleurs la chanteuse dont j’ai repris les accords de ukulélé est suédoise. Ça n’a rien à voir avec l’anglais, le suédois, et pourtant quand elle chante on dirait qu’elle l’a parlé toute sa vie. Moi je trouve ça bien parfaitement injuste.

« You are… cuddly… as a cactus… » Mes doigts reprennent leur course sur les cordes de leur instrument, faisant résonner quelques nouveaux accords dans l’air agréablement chaud et boisé du petit salon. « You’re as… car… charming… as an eel… »

Doucement, je ferme les yeux, en essayant de faire le vide. Je suis seule, allongée sur le dos dans la petite causeuse de ma grand-mère. Mes jambes sont nues, et confortablement enroulées dans un plaid en patchwork de laine épaisse et chaude. Mes cheveux, absolument pas coiffés, accrochent un peu partout au tissu des coussins, comme les petits filaments d’une méduse échouée sur la grève. Il y a du feu dans le poêle, et du lait chaud dans mon bol, sur la table basse. Leurs deux odeurs se mêlent et s’entrecroisent autour de moi. Tout ça m’aide un peu à détendre mon échine, dans le moelleux du canapé, et je soupire longuement.

Je peux le faire.

Plink.

Plonk.


« Mister Griiiiinch… » La montée tire un peu sur ma voix, mais celle-ci tient bon, glissant avec aisance vers l’arrière de ma tête, pour devenir toute fluette et aérienne, le temps de cette note aigue, que mes doigts ponctuent de deux accords bien marqués. Je souris. Les mots, cette fois, coulent un peu mieux dans ma gorge détendue. « You’re a bad banana… »

Mon sourire s’agrandit. J’aimais bien ce mot. Il sonnait tout drôle, et rebondissant. Je lève prudemment une de mes jambes pour la croiser par-dessus le genou de l’autre, dans une pose à l’air assez inconfortable et loufoque, mais qui m’étire délicieusement les muscles du dos. Je n’ai pas beaucoup bougé de l’après-midi, alors mes muscles prennent les bons soins qu’ils peuvent, là où ils le peuvent. Mais enfin tout ça commence à se faire sentir. J’ai l’impression que les coussins, sous mes fesses, sont de moins en moins moelleux. Je dois vraiment commencer à me tasser…

« With a greasy… black… hm. » Mes doigts font une petite pause au milieu de leur danse. La musique s’étire encore un peu, et s’arrête, une seconde. Il faisait un peu froid, tout à coup…

Plink.

Fronçant les sourcils, je remue doucement les fesses, constatant que, oui, décidément, c’était comme si on avait remplacé la causeuse de ma mamie par quelque chose de beaucoup plus ferme, et rêche, et… J’ouvre les yeux.

Plonk.

L’accord est faux.

Le plafond n’est pas le même.

Mes yeux s’écarquillent doucement.

« Peel… ? » Ma voix n’est plus qu’un murmure au fond de ma gorge. Comment est-ce que le plafond pouvait juste… être différent ? « Oh. »

Oui, « oh ». C’était le cas de le dire. Serrant mon ukulélé contre ma poitrine, je me redresse un peu précipitamment sur un coude, manquant de tomber de ce qui semble être une banquette sans bord grise, très sobre, et confortablement installée dans un bureau tout ce qu’on fait de plus… officiel.

Mes yeux, en se promenant, parfaitement confus, se posent sur un exemplaire de magazine coloré, visiblement marketté pour les enfants. Là, un énorme clown aux yeux rieurs me contemple, curieux, la tête penchée sur le côté, dans un parfait miroir – à l’exception près de son rictus amusé, et tout peinturluré de couleurs vives – de ma propre expression.

« Bah merde… »

J’ai parlé en japonais, et alors que mon regard remonte doucement la ligne anguleuse d’un bureau élégant, elle rencontre la silhouette d’un costume, qu’il examine jusqu’à le trouver habité d’un homme. Un homme grand et noir. Avec des lunettes et… l’air aussi perdu que moi.
Là c’est le moment où je me rappelle que je suis en culotte, sous mon plaid, et que mon maillot de corps ne doit pas cacher grand-chose de ma silhouette, et je me sens soudain incroyablement vulnérable, à côté de sa carapace cravatée, probablement taillée sur mesure dans un endroit très chic. Je lâche mon instrument qui roule à côté de moi sur la banquette, alors que je me rassois brusquement tout droit sur mes fesses, et je tire à moi la couverture de laine qui, Dieu merci, m’a suivi jusque…

Peu importe là où j’avais atterris.

Atterris comment, déjà, au juste, d’ailleurs… ?

Le visage confus d’Hiyori me revient soudain en mémoire, et je me fige, l’adrénaline tambourinant contre mes tempes et au fond de mon ventre. Est-ce qu’il venait de m’arriver la même chose ? Ou est-ce que c’était tout le bureau, monsieur très officiel compris, qui venaient de se téléporter dans mon salon ?

Tout ça me laissait perplexe. Et paniquée. Surtout paniquée. Mes yeux se brouillent un peu d’humidité, alors que je les plante piteusement dans ceux du jeune homme bien coiffé.

« J’suis où… ? »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 26 Déc - 21:43

Il a peine eu le temps de traverser la moitié de son bureau qu'une jeune fille toute brune apparaît d'un seul coup pile dans son champ de vision, au son d'un accord contrarié qui tire sur les cordes de son ukulélé.
Les deux pauvres notes tintent et résonnent longtemps dans le crâne de Nathan. C'est plus qu'un fusible qui a sauté là-dedans, il fait noir à tous les étages mais à cet instant c'est comme si l'univers tout entier avait implosé. Kevin y a disparu en une demi-seconde, avalé dans un trou noir.
Lui ne bouge plus. Tous ses muscles sont pétrifiés dans l'attente très hypothétique d'une réaction de son cerveau. Mais cette réaction ne vient pas. Son corps reste lourd et immobile.
C'est la batterie de secours qui prend le relais, alors que la petite jeune fille s'agite sur la banquette, les yeux brouillés d'humidité, et lance quelques mots en langue étrangère en tentant de cacher sa petite tenue sous une couverture en laine.

« Désolé, je ne parle le... vous... » Il bat des cils. « Mais. »

Et finalement le cerveau de Nathan se rebelle en un éclair contre l'absurdité vertigineuse de cette scène. Il le propulse sur ses jambes et le jeune homme fonce jusqu'à la porte de son cabinet qu'il ouvre en grand, brusquement, pour surprendre un collègue ricanant dans le couloir.
Mais le hall est froid, silencieux et désert. Seules quelques particules ont jailli dans la brutalité du mouvement et flottent maintenant dans les rayons du soir qui percent à travers les vitres de l'entrée. Les chaussures de Nathan claquent désespérément sur le carrelage impeccable tandis qu'il fait un tour sur lui-même, le ventre noué d'incompréhension.

« Qu'est-ce que... ?? Enfin quoi ? »

Il a un léger vertige, qui l'oblige à s'appuyer d'une main à l'encadrement de la porte. Ce n'était pas une farce. De toute évidence – à moins d'avoir Houdini parmi ses collègues, personne ici n'était capable de faire apparaître une joueuse de ukulélé dans son bureau juste sous son nez. Ça n'avait pas de sens.
C'était peut-être une sorte de chimie bizarre qui était en train de lui secouer les neurones... Est-ce qu'il était en train de délirer ?
Il respire très profondément et en refermant la porte, il se retourne avec une extrême prudence dans son bureau. Ses yeux retombent sur la jeune fille aux yeux mouillés, qui est toujours recroquevillée dans son plaid au coin enfants.
Il cligne très fort des paupières, comme on cherche à se débarrasser d'une tache de lumière collée à ses rétines. Il est en train d'halluciner. Ce n'est qu'une hallucination. Il ne faut pas paniquer.
Mais la petite asiatique n'est pas décidée à disparaître et elle est toujours sur le point de pleurer sur sa banquette, alors Nathan s'approche d'elle à pas lents en jouant avec les branches de ses lunettes, au cas très improbable où ce ne pourrait être qu'un bien curieux reflet sur les verres de ses lunettes.

Il s'arrête à un bon mètre d'elle en passant nerveusement une main dans ses cheveux. Soit son cerveau débloquait très sévèrement, soit cette drôle d'intruse était réelle.
Et si elle était réelle, il n'allait pas la laisser démunie comme une fillette au réveil dans son propre bureau. Pourtant il n'esquisse pas encore de geste vers elle, de peur de lui faire peur comme à un animal effarouché. Malgré toute la confusion qui engourdit son esprit, il tente d'esquisser pour elle un sourire rassurant et de murmurer en détachant précautionneusement tous ses mots.

« Je suis désolé... Vous allez bien, mademoiselle ? Vous... ? Parlez anglais... ? »
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Yoko Ogawa


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMar 27 Déc - 0:39

Encore de l’anglais…

Mes sourcils se froncent, plissant mon visage d’une moue de profonde contrariété. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit de l’anglais… C’était à croire qu’on ne parlait que ça, sur cette planète. Ou que quelque part, peut-être, une force cosmique belliqueuse avait décidé que mon expérience personnelle du surnaturel se ferait forcément dans l’inconfort le plus total.

Continuant de serrer mon plaid contre ma poitrine, je me tasse sur moi-même, et contre le mur, derrière moi, essayant instinctivement de diminuer l’espace occupé par mon corps, comme si cela pouvait suffire à me faire disparaître. Bien évidemment, il n’en est rien, et je ne peux que relever un regard paniqué sur le jeune homme alors qu’il s’approche, et que je n’ai nulle part où continuer de le fuir, maintenant que l’arrière de mes épaules a rencontré le papier peint. Un petit son de souris s’échappe de ma gorge, mais je hoche lentement la tête, pour lui signaler que, malgré tout, j’ai à peu près compris ses paroles.

« Je… sais. » Mes joues prennent une teinte écarlate, comme à chaque fois que je tente de m’exprimer dans la langue de Shakespeare, et que j’échoue tout aussi misérablement. Non, vraiment, c’était une conspiration… « Je. » Je reprends avec un peu plus d’ampleur, en essayant de donner un volume à peu près audible à ma voix. « Débrouille, un peu. »

Je renifle doucement, les doigts emmêlés dans les grosses mailles de la laine, près de la peau glacée de mes épaules. J’essaie de jauger sa réaction un moment, sans franc succès – il a l’air perdu quelque part entre le soulagement et la panique la plus totale – puis mes yeux risquent un aller et retour rapide jusqu’à la fenêtre, où ils ne trouvent que la nuit, et la ville. Quelle heure est-ce qu’il pouvait bien être, au juste ? A Spreenhagen, d’où j’étais partie, c’était le milieu de la nuit, mais cela ne voulait pas… forcément dire grand-chose. Après tout on était en plein hiver, il pouvait très bien être cinq heures du soir, ou six heures du matin. Et les quelques buildings que mon regard avait fugacement croisé dans son saut de puce n’étaient pas franchement typiques. N’importe quelle grande ville pouvait avoir les mêmes.

Le cœur encore battant d’adrénaline, je me risque à revenir dévisager mon interlocuteur, la gorge toute nouée de la bousculade de question qui s’y pressent. Malheureusement, avec mon anglais limité, même la plus élémentaire devient un véritable casse-tête à formuler. Je pince un moment les lèvres, rassemblant toute la concentration que me permet encore mon reste bien épicé de panique et d’incompréhension.

« On… être où ? Ici ? » Mes sourcils se froncent de plus belle. Ma question ne doit pas être très claire, vu la mine confuse de mon interlocuteur. Pour l’aider, je lâche une des mains que j’ai agrippée dans le plaid, et je la tend en direction de la fenêtre, pour désigner les lueurs de la ville qu’elle laisse entrevoir. « Non. Là… ? »

Il y a tellement d'embarras, au fond de ma poitrine, à l'idée que mon anglais soit si incompréhensible qu'il se mette soudain à rire de moi, ou bien même qu'il n'en comprenne pas un mot, et continue de me regarder, hébété comme ça, pour le restant de mon... séjour ici. J'en oublie même momentanément toutes mes autres - pourtant très importantes - préoccupations. L'inquiétude de ma grand mère, le prix d'un billet d'avion, le manque de vêtements et l'inconnu total de ma destination, tout cela passe brièvement à la trappe, éclipsé par l'angoisse d'être jugée, et mal comprise, vestige étrange d'une adolescence relativement solitaire. C'est complètement ridicule, ce sens des priorités, mais visiblement, c'est comme ça que je fonctionne. Il faut que je m'y fasse.

Pour essayer de penser à autre chose, je renquille, et tente de meubler un peu son silence sidéré par une proposition, pour l'aider à revenir sur les chemins de la communication.

« C’est… la Angleterre… monsieur ? »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMar 27 Déc - 5:35

Il y a une moue de stupeur parfaite qui a élu domicile sur le visage de Nathan depuis une petite poignée de minutes maintenant et il doit avoir l'air d'un bel imbécile devant cette jeune fille, mais c'est peut-être bien le cadet de ses soucis à l'instant. En fait, une petite voix au fond de lui se demande si ce n'est pas à ça que ressemble une rupture d'anévrisme, parce qu'un dérèglement subit de son cerveau, c'est encore la seule explication plausible que son esprit malmené parvienne à former. Est-ce que ça durait si longtemps une rupture d'anévrisme, ou est-ce que sa perception du temps s'était dilatée au même moment que les artères de sa pauvre cervelle ?
Et maintenant, son hallucination rougit derrière sa couverture en laine et tente d'aligner quelques mots dans un anglais timide – c'est une hallucination qui réagit à sa présence et qui lui répond. Qui essaie en tout cas. Pour une hallucination, elle manifeste d'une bonne volonté qui le laisse drôlement admiratif.
Encore une fois, il y a quand même dans son délire un sacré souci de cohérence – c'est remarquable – et il ne peut pas s'empêcher d'essayer de comprendre autant qu'il le peut ce que bredouille la jeune fille d'un timbre tremblotant, avec semble-t-il beaucoup d'efforts. Il se laisse porter par ses gestes et ses expérimentations syntaxiques, comme un noyé inerte qui flotte dans la houle, et répond très machinalement.

« N-non... ? Enfin. Pourquoi voudriez-vous qu'on soit en... ? »

C'est là que l'absurdité de la question le frappe. Est-ce que c'est l'Angleterre ?
Vous savez, ces films de science fiction où les voyageurs temporels débarquent par hasard dans une époque qui n'est pas la leur et où ils demandent au premier passant venu en quelle année ils viennent d'échouer. Le passant leur répond souvent en ricanant moqueusement et s'éclipse aussitôt, au fond comme si de rien n'était.
En fait c'est quand même beaucoup plus perturbant quand ça vous arrive en vrai.

« On est à Philadelphie. En Pennsylvanie. Les États-Unis. » Nathan déglutit laborieusement et tente d'accompagner le reste de son discours de quelques gestes évocateurs. « C'est mon bureau. Vous êtes apparue tout à coup... de nulle part... Dans mon bureau. Mais vous ne pouvez pas venir de nulle part, haha... N'est-ce pas... ? »

Il devient plus livide de seconde en seconde. C'est comme si son sang s'était figé dans ses veines – il se sent à la limite de tomber en syncope. Conscient du risque – à défaut de comprendre tout le reste – Nathan chancelle jusqu'à la banquette et esquisse un geste approximatif vers le petit espace dont le ukulélé sépare la jeune fille et où il y a assez de place pour qu'il vienne s'y écrouler.

« Je... je vais m'asseoir là. Ne vous inquiétez pas. C'est juste que... ouf. »

Ses jambes sont en coton, il lui semble qu'elles ne peuvent plus le soutenir une seconde de plus. Il s'effondre à côté d'elle, croisant au passage son regard d'un petit air navré et détournant rapidement les yeux pour ne pas l'embarrasser. L'émotion qui le traverse est encore très intense, tandis qu'il emmêle ses doigts sur ses genoux et qu'il fixe sa fenêtre, droit devant lui, dans l'espoir de réussir à remettre de l'ordre dans ses pensées.
Il avait toujours été très fier de sa faculté à garder son sang-froid mais aujourd'hui, il devait admettre qu'il était bien en peine de le retrouver. Ses yeux restent vissés sur ses carreaux piqués de givre, qu'il examine scrupuleusement, pourtant sans les voir. C'est un moment étrange et flottant, où l'incompréhension a, sans prévenir, recouvert d'un seul coup l'entièreté de son esprit et en a fait une chose obscure et parfaitement calfeutrée, où aucune lumière ne semble avoir le pouvoir de filtrer. Il reste figé pendant de longues secondes sur sa banquette, près de la jeune fille et de son ukulélé. Et finalement, dans un élan de résolution, il allume une faible étincelle dans le noir et prend une très profonde inspiration qui lui gonfle vaillamment la poitrine.

Il tourne vers elle un nouveau regard, brillant de ce frêle éclat, et lui tend une main à serrer comme si une once de normalité pouvait suffire à introduire un équilibre précaire dans cette rencontre inexplicable. Il s'éclaircit la voix et tout en faisant des efforts manifestes pour maîtriser l'angoisse qui l'a cloué lui aussi sur ce petit canapé, il prononce avec soin :

« Je m'appelle Nathan. Comment... » Il s'arrête, très perplexe, et baisse la tête pour la regarder par en-dessous, partagé entre un sérieux absolu et un sensible reste de panique. « Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Je... peux faire quelque chose pour vous... ? »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMer 28 Déc - 0:26

« La… Penn… quoi… ? »

Ma tête tourne un peu. L’espace d’une seconde, c’est comme si la pièce tout autour de moi se dilatait silencieusement, me laissant avec un profond sentiment de vertige au fond de l’estomac. Les Etats-Unis, c’était…

Ça n’était pas une très bonne nouvelle.


« Oh là là… »  Je me recroqueville à un bout de la banquette, alors que le jeune homme s’effondre à l’autre, soulevant légèrement mon côté du coussin. Le cœur battant je l’observe minutieusement. Je le dissèque de mon regard, attentive au moindre détail, comme s’il avait pu porter sur lui la solution à notre épineux mystère. C’était à s’en arracher les cheveux, même quand on admettait l’existence du surnaturel, cette histoire. Le peu de… d’aptitudes, que j’avais manifestées, n’avaient jamais ressemblé à quoi que ce soit d’aussi… extrême ? Un long frisson remonte le long de mon échine.

Le pauvre type – Nathan, comme il me le confie, dans un anglais déjà plus accessible – a l’air tout aussi paumé que moi. Plus, même. Le pauvre on dirait qu’il vient de découvrir que le père Noël n’existe pas. Ou que quelqu’un lui a annoncé qu’il a un cancer, quelque chose du même type. Je reste un moment silencieuse, cherchant la meilleure façon de résumer la situation sans passer pour une folle et/ou me faire flanquer à la porte.

Dieu que c’était dur de jauger les inconnus…

« Et bien… »  Mes orteils triturent nerveusement avec le bord de la banquette, tandis que mon dos est toujours pressé contre le mur, dans une posture rappelant un peu celle des animaux aux abois. « C’est… Dur. De dire. Je ne sais… pas. Bien. »

Somme toute d’une clarté exemplaire. C’est toute une génération de para-psychologistes que je dois avoir rendu blêmes de fierté avec cette phrase. Enfin. Une phrase… Un amalgame confus de briques textuelles assemblées pour tenir à peu près droites ensembles. Mais on faisait avec les outils qu’on pouvait…

Et moi, avec ces outils, bah je faisais visiblement un peu n’importe quoi.

Je soupire. Allez, on recommence. Ce n’est pas le moment de se laisser démonter. Les troupes, en rangs, on se rassemble et on y retourne. Mes doigts se serrent doucement dans le plaid alors que je tente de reprendre un peu de contenance, tant physiquement que dans mon propos. Puis, avec beaucoup de prudence et d'efforts, je parviens à détacher une main de son cocon, pour venir effleurer celle de Nathan, et la serrer très brièvement avant de battre en retraite, embarrassée.

« Je suis Yoko. Ogawa. Je suis… dans ma maison ? À… l’Allemagne. Juste. Maintenant ? Avant ? Mais… et après… »  Je fais un petit signe nerveux de mes mains, dans une tentative un peu acrobatique de mimer une explosion sans lâcher le solitaire rempart de laine qui protège ma pudeur. « Pouf ! Je suis… ici. »

Une grimace peinée se dessine sur mon visage, alors que je remonte mes yeux vers les siens. Je sens bien que je n’aide vraiment pas à faire avancer la machine, qui est bloquée entre deux arrêts depuis un moment déjà. Tout ça n’apporte rien sinon plus de confusion à une situation déjà peu ordonnée, mais d’un autre côté je ne suis pas certaine de réussir à discuter parapsychologie et déplacement spatio-temporels avec un… Nathan. Un Nathan en costume de type rationnel, et à l’air tout perdu des enfants dans les supermarchés à qui la foule a arraché leur maman.

« Toi pas… être inquiet, d’accord ? Je… ne sais pas, très… précis. Ce que c’est. Mais. C’est les choses. De. Hm. La magie ? Alors. Tu peux faire…rien du tout. »  Je hausse doucement les épaules, pour appuyer mon propos, en espérant que ça aidera un peu à le faire lâcher prise sur la rationalisation de l’incident. Parce que si on commence à discuter technique, on en sera encore au même point demain matin. Et ma position commence à devenir très inconfortable. « Ou... oui. Tu peux aider. Que je suis plus en… les sous-vêtements. Dans… ici. Oui ? »
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Nathan Weathers


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMer 28 Déc - 18:14

« Ah oui... »

Les yeux de Nathan se sont égarés entre les deux mains de Yoko, qui semblent mimer un tour de magie inexplicable, et sa bouche encore toute arrondie d'un « pouf ! » fort mystérieux.
Sa voix est blanche et ratatinée lorsqu'elle s'extrait de sa gorge. Pouf ? De l'Allemagne à Philadelphie en un simple... pouf ? Ce ne sont pas des explications, cela. On ne pouvait pas appeler cela des explications. Mais qu'attendait-il, au juste ? Que cette jeune fille lui avoue d'un petit air coupable être seulement sortie d'un recoin confus de son cerveau comme un diable de sa boîte ? Un diable dont l'énigme n'était que chimique, au moins.
Non, bien sûr. Elle était apparue ici avec son joli nom japonais aux mesures harmonieuses, avec cet accent très particulier qui venait enrober son anglais, et depuis l'Allemagne, où elle avait un foyer. C'était une personne en chair et en os. Et elle semblait davantage s'inquiéter de sa difficulté à communiquer que de son voyage fantastique.

« Les... les choses de la magie. »

D'une main tremblante, il repousse nerveusement ses lunettes sur l'arrête de son nez. Ses yeux remontent vers elle, très hagards. Comment pouvait-elle conserver un tel sang-froid ?
Si les mots très humbles de Yoko ne peuvent constituer un réconfort pour l'esprit rationnellement insatiable de Nathan, la suite le pique d'un espoir plus vif. Il relève la tête vers elle, redécouvrant par la même occasion le dénuement de sa tenue, et paraît reconsidérer d'un seul coup l'ordre de ses priorités. Il prend une courte inspiration.

« Mademoiselle hm. Yoko. » Il se pince les lèvres et se fait violence une fois pour toutes, tentant un léger sourire qui se crispe presque imperceptiblement sur son visage en accompagnant ce qu'il essaie de faire sonner comme un trait d'humour : « Pour être honnête, je n'arrive pas à déterminer si on a drogué mon café de cinq heures ou si vous êtes Mary Poppins... Mais... Enfin oui, je ne peux décemment pas vous laisser en sous-vêtements dans mon bureau... Non. Hm. Alors tenez, d'abord, vous pouvez mettre ça. »

Dans un hochement de tête résolu, il se défait rapidement de sa veste bleu marine qu'il lui laisse gentiment sur les genoux et se relève avec prudence – il n'est pas encore à l'abri qu'un malaise ne le rattrape...

« Et est-ce que j'aurais un jogging propre ici... »

Marmonnant pour lui-même, les traits froncés de concentration, il se dirige vers son bureau et ouvre un tiroir où il a l'habitude de ranger quelques changes quand le temps était assez clément pour traverser la ville à vélo. Ces derniers jours, la neige avait tombé dru et sans discontinuer. La chaussée était couverte de verglas et il n'avait pas voulu risquer d'accident malgré l'encombrement désagréable des transports en commun. Aussi c'est par chance, et avec un certain soulagement, qu'il met la main sur un survêtement noir qu'il déplie d'un petit geste sec en décochant un sourire victorieux à Yoko.

« Oui. Oui, vous voyez. On avance. »

En tout cas, il essaie de s'en convaincre parce qu'en vérité, il n'a pas encore trouvé beaucoup plus de maîtrise sur cette situation. En revanche, il réussit peu à peu à reprendre contenance et il est assez satisfait de savoir donner bonne figure à cette jeune fille qui dans ce moment-ci semblait quand même en plus grande difficulté qu'il ne l'était. Il revient vers elle d'un pas vaillant et lui tend doucement son pantalon. A vue de nez, il devait être trop grand pour elle, mais si elle tirait suffisamment sur le lacet de la ceinture, elle pourrait sans doute en faire quelque chose.
Hochant la tête d'un air encourageant, Nathan fait demi-tour et lui tourne le dos pour la laisser s'habiller sans avoir à se soucier de son regard, tandis qu'il part ranger ses dossiers dans son attaché-case. Il ne savait pas s'il faudrait emmener cette malheureuse au commissariat ou même à l'ambassade allemande – ni même si c'était exactement une bonne idée – mais de toute évidence, ils n'allaient pas traîner beaucoup plus longtemps au cabinet.

Au bout de quelques minutes, qu'il a ménagées de rangements et de réflexions, il risque prudemment un regard derrière lui et trouve Yoko bizarrement fagotée de ses habits. Il se mord les lèvres. Un vertige traverse son regard, qu'il fait peser soucieusement vers elle.

« Je... je présume que vous ne pouvez pas simplement... pouf ! » Il reproduit le mystérieux petit geste des mains qu'elle avait mimé tout à l'heure, un sourire perplexe aux lèvres. « Rentrer en Allemagne... Par le même moyen ? Non ? »

Aussi perturbante que cette idée pouvait être pour lui, Yoko, elle, avait l'air assez à l'aise avec le concept, alors tout n'était peut-être pas perdu. Et puis, subitement, il se rappelle les yeux brillants qu'elle avait écarquillé sur lui en apparaissant sur cette banquette, et il secoue vivement la tête, agacé par son propre raisonnement. Si elle avait le moindre contrôle sur ces phénomènes de... téléportation inopinée, elle serait sûrement repartie illico – elle n'aurait peut-être même pas atterri ici.

« Non, bien sûr, ça n'a pas de... bah non. Haha. »

Il rit, d'un petit éclat nerveux qui lui rappelle étrangement son frère, et se racle la gorge en continuant de faire marcher ses méninges, les mains campées sur ses hanches pour s'inspirer un peu plus de stabilité.

« Hmm. » Il reporte son attention sur Yoko, puis reprend en détachant de nouveau ses mots et en les accompagnant d'expressions et de gestes aussi évocateurs que possible. « Là-bas, en Allemagne. Vous avez peut-être des proches qui pourraient s'inquiéter de votre disparition, non ? Vous voulez leur téléphoner ? » Il pointe du doigt son téléphone fixe, juché sur son bureau, près de son ordinateur. « Je veux dire, au moins pour les rassurer. Parce que... ben, les mettre au courant, il me semble que c'est une autre paire de manches... »

Il grimace un autre sourire ennuyé. Non, définitivement, le commissariat et l'ambassade, c'était vraiment une très mauvaise idée...


Dernière édition par Nathan Weathers le Sam 31 Déc - 19:29, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeJeu 29 Déc - 23:17

« Poppins… ? »

La confusion doit se lire sur mon visage. Je fais de mon mieux pour saisir un maximum d’information dans son monologue souriant, un peu trop rapide, à mon goût, par rapport au début de notre conversation, mais il y a un ou deux détails qui, visiblement m’échappent. Je souris comme je peux, pas tout à fait certaine, l’espace d’un instant, de réussir à déterminer si on m’a compris ou pas, puis Nathan se met en mouvement, ébranlant à nouveau la petite banquette, et mes épaules se relâchent doucement.
Bon, au moins, il a l’air d’avoir compris que j’avais besoin de vêtements.


Je fais quelques contorsions, m’attelant, pendant qu’il part à la recherche de ce qui doit être l’équivalent d’un pantalon, à la tâche complexe d’enfiler sa veste sans lâcher le plaid qui sert encore de rempart à mon intimité. Pas qu’il ait spécialement l’air d’un pervers ou d’un prédateur, mais tout de même. Personne ne les a encore vues, ces choses là, à part mes parents et ma grand-mère, une ou deux fois, par accident. Même devant Aminata, j’ai toujours pris soin de me couvrir en toutes circonstances, tenue par une pudeur qui m’était étrangement précieuse. Peut-être parce qu’on m’avait éduqué à en prendre soin, ou peut-être parce que je chérissais d’avoir encore ce choix à faire. Cette chose à donner. On m’avait pris mon premier baiser, mais ça

Ça c’était encore à moi de décider ce que je voulais en faire.

Au moins, Nathan a l’air de quelqu’un de tout à fait respectueux. Je le remercie d’un petit hochement de tête, refermant mes doigts sur le jogging avec un infini sentiment de soulagement, et jetant mes jambes dedans aussitôt qu’il se retourne, gardant mon plaid autour de la taille le temps que l’opération soit complétée. Juste au cas où.

Mais ce n’est visiblement qu’un excès de zèle de ma part.

« Hmm… »

Je nage un peu, dans ces vêtements de grand garçon. Le pantalon dépasse de mes jambes, et j’aperçois à peine mes orteils, qui s’agitent, noyés dans le tissu, comme deux petits poissons pris dans une nasse en élasthanne.  
Nathan se retourne vers moi, l’air drôlement soucieux, mais comme il reprend la parole je me retrouve encore une fois catapultée hors de mon fil de pensées.
Je ris, doucement, d’un rire qui sonne un peu comme celui d’un enfant, alors qu’il imite ma précédente tentative de mime, puis je secoue la tête avec tout autant de douceur. Le pauvre a l’air tout aussi perdu qu’un caneton.

« Non… Je ne sais… pas. Première fois. C’est. Pour moi. Aussi. »

Mon sourire se crispe doucement, alors que je réfléchis à sa question suivante, occupant mes mains à replier sommairement mon plaid pour pouvoir le tenir un peu mieux dans mes bras.

« Il y a. Mon… ma ? Grand-mère ? Mais. C’est… la nuit. » Je plisse les yeux, le vocabulaire me faisant un peu faux bond, dans ma tentative d’explication, et j’essaie de rassembler dans mon esprit les mots qu’il avait lui-même employé. « Là- bas… en Allemagne. »

Je hoche la tête, relativement satisfaite de l’expression de mon interlocuteur, qui n’a pas l’air de se moquer, ou d’être trop perdu dans le fil de ce que je raconte. Je ne sais pas si je progresse, où s’il s’habitue à mon anglais en carton, mais au moins on arrive plus ou moins à se comprendre. C’est une bonne nouvelle.

« La vérité… J’ai. Déjà… vivre. Ça. Mais, une autre… personne. Pas moi. Elle… pas… hm. Rester ? Beaucoup. Le temps. Alors… » Je relève un regard désolé dans sa direction, avec un léger haussement d’épaules. « Peut-être. Moi aussi ? Si… »

Mes lèvres se pincent. Ça, ça n’était pas une chose à laquelle j’avais beaucoup envie de penser.

« Si… non ? Je… Téléphone. Plus tard. Oui ? »

Tout irait bien, pas vrai ? Je resterai quelques heures, tout au plus. Comme Hiyori l’avait fait avant moi. Au pire, je reviendrais dans la matinée, et je n’aurais qu’à dire à mamie que… J’ai été me promener. Que je n’arrivais pas à dormir. Si ça durait un peu plus longtemps, il suffirait d’inventer… une histoire de soirée pyjama. Une amie qui aurait eu besoin de mon soutien moral, une… virée imprévue. Grand-mère me crierait peut-être un peu dessus que je ne suis pas responsable, tout au plus.
Il n’y avait aucune raison que je reste coincée ici, me forçant dans un scénario catastrophe à base de déboires linguistiques, de billets d’avions hors de prix, de mensonges tarabiscotés et de grand-mère livrées à leur solitude pour le réveillon de Noël. Aucune… Aucune raison…

Pas vrai… ?

Mes orteils piaffent doucement sur le sol, alors que je ne sais pas bien où me mettre, où quoi faire, quoi penser, pour empêcher ces pensées parasites de me submerger comme un tsunami, bouleversant le petit ersatz de tranquillité que j’avais réussi à me construire au milieu de toute cette confusion. Avisant la première chose qui me tombe sous les yeux – Nathan, en l’occurrence – je décide, un peu hasardeusement, de lui faire la conversation. Ou du moins d’essayer, parce qu’entre l’incongruité de la situation, mon niveau d’anglais, et nos états de chocs respectifs…
Ça n’était pas gagné gagné…

Mais qu’à cela ne tienne ; j’ai besoin de penser à autre chose, alors je tentes, à tout hasard.

« C’être… ta maison ? Ici ? »[/i][/b][/color]
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeSam 31 Déc - 19:28

Le rire discret mais limpide de la jeune fille inspire à Nathan un sourire presque enjoué, malgré tout le souci qui pèse encore sur sa poitrine. Elle a quant à elle l'insouciance d'une enfant, à glousser comme ça toute empaquetée dans des vêtements trop grands pour elle, et l'air d'une petite fée espiègle qui aurait tenté un sortilège pour la première fois et dérapé maladroitement.
C'est comme être perdu dans un rêve ou passé de l'autre côté du miroir, où l'inexplicable pouvait advenir sans conséquence. Mais ce n'était pas un rêve.

Le visage de Yoko se rembrunit peu à peu et ses yeux trahissent d'autres éclats d'inquiétude pendant qu'elle s'essaie à d'autres explications en anglais. Fronçant des sourcils de cette mine absorbée qui lui est habituelle, Nathan s'appuie contre son bureau pour lui accorder autant d'attention que nécessaire. Il hoche doucement la tête en ce qui concerne sa grand-mère, mais peine assez fort à se retrouver dans la suite.

« Avec une autre personne ? »

Il la scrute d'un œil préoccupé et réfléchit de longues secondes en frottant les petites boucles de ses cheveux crépus, au-dessus de son oreille. Il se dépêtre petit à petit de ses formulations mais reste quand même incertain finalement de ce qu'elle tente de lui dire. Ou peut-être qu'il avait simplement peur de bien comprendre. En admettant que tout ça soit réellement en train de se passer, est-ce qu'il fallait en plus en déduire que ce processus n'était pas un cas isolé ?
C'est une folle avalanche d'interrogations qui gronde dans son crâne et qui le submerge complètement pendant un bon moment. C'était à s'en faire des films.
Et Nathan n'était pas fait pour vivre dans un scénario de science fiction. Il ne croyait ni aux expériences gouvernementales, ni aux technologies alien, ni aux forces occultes, ni aux théories dimensionnelles. Il ne gobait pas ça. Oh, il savait bien ce qu'on pouvait faire en matière de complot. Le gouvernement américain avait été capable de raconter des mensonges à propos de tellement de choses, à propos de Cuba, du Nicaragua, de la Colombie, de l'Irak, de l'Afghanistan, l'état-major avait été capable de préparer de faux attentats – et on disposait encore certainement d'une bonne pile de cahiers noirs à la CIA qui dans le futur feraient jour sur d'autres manipulations de masse de ce genre.

Mais ça, c'était insensé. Ça entrait brutalement en collision avec l'ensemble de ses croyances sur le monde. Et l'ensemble de ses croyances sur le monde ne pouvaient pas être fausses au profit de celle-ci. C'était strictement improbable. Sinon impossible.

Cependant, le malaise de Yoko le cueille soudain au détour alambiqué de ses réflexions et il rive de nouveau ses yeux noirs sur elle, alors qu'elle s'enquière d'une petite voix de pouvoir téléphoner plus tard à sa grand-mère. Nathan revient aussitôt à la réalité et acquiesce d'un signe de tête très confiant.

« Enfin, oui, bien sûr. Très bien. »

Il retrouve habilement le chemin de son sourire et se redresse de son bureau pour avancer de deux pas prudents vers elle, tenant solidement son attaché-case noir sous son bras pour réussir à refermer les boucles sur les liasses de dossiers qu'il y a rangées.

« Ça va aller... Je ne vais pas vous laisser tomber, d'accord... ? »

Il hoche la tête pour l'en assurer, puis baisse ses yeux pour s'appliquer du mieux qu'il peut à fermer sa mallette.
Qu'elle retourne magiquement d'où elle venait ou non, c'était en tout cas dans son bureau qu'elle avait atterri et par chance, il n'était pas de ceux qui jetaient les gens à la porte dans la neige et la nuit d'une grande ville comme Philadelphie, sous prétexte qu'ils les embarrassaient ou qu'ils échappaient à leur compréhension.
Quelques secondes de silence passent, pendant lesquelles il se bat contre son attaché-case récalcitrant, jusqu'à ce que Yoko tente une petite question timide depuis le fond de la pièce. Un petit rire surpris lui échappe et il lève poliment les yeux vers elle.

« Non... Je travaille ici. C'est un cabinet d'avocats. Je suis avocat. »

Il n'est pas tout à fait certain de se faire comprendre jusqu'au bout, mais ce n'est pas très grave. La deuxième boucle de sa mallette s'emboîte finalement dans un petit claquement sec. Soulagé, il dirige son regard vers la fenêtre où la lumière décline pour de bon sur la rue.

« D'ailleurs, hm... Il va faire nuit. » Il pince ses lèvres, anticipant la difficulté de ses prochaines explications et en tournant doucement la tête vers Yoko. Il s'éclaircit la voix. « Et... enfin, à moins que vous ne préfériez rester sur cette banquette le temps que le processus... s'inverse ? Vous savez. Pouf. »

Amusé par ce drôle de raccourci qu'ils ont adopté ensemble, il mime de nouveau le geste, mais d'une seule main cette fois, l'autre soutenant encore sa valise, et puis il poursuit toujours à grands renforts d'expressions et de signes des doigts.

« Je pourrais appeler un taxi... Et si vous voulez, vous pouvez attendre chez moi, plutôt que de rester ici. Il fera plus chaud et c'est vendredi. J'ai prévu du poulet frit et des gaufres. Hm. »

Curieuse invitation, à bien y réfléchir. C'était un peu familier pour une adresse à une jeune fille qu'il ne connaissait que de quelques dizaines de minutes. Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien faire d'autre ? Il n'allait pas rentrer chez lui et la laisser grelotter ici.
Et il n'allait pas non plus passer toute la nuit ici avec elle à la regarder dans le blanc de l’œil jusqu'à ce qu'elle disparaisse...

« Sauf... si ce n'est pas possible et si vous êtes obligée d'attendre à cet endroit précis, je n'en sais rien... » Son visage se fronce d'une nouvelle expression soucieuse, avant qu'il ne vienne chercher un assentiment ou une réponse dans les yeux non moins inquiets de Yoko. « Qu'est-ce que vous en pensez... ? »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeSam 7 Jan - 1:02

« Avocat… » Mes sourcils se froncent. Mon cerveau croit reconnaître le mot mais c’est comme s’il avait du mal à remonter jusqu’au souvenir auquel il est associé. Je prends mes joues entre mes mains, pour réfléchir, dans un réflexe que j’ai gardé de l’enfance, mais qui m’a toujours beaucoup aidé à me concentrer, et soudain, la chose me revient, comme une claque dans la figure. « Oh ! Avocat ! Phoenix Wright, Ace Attorney ! Moi j’aimais ce jeu. Beaucoup ! »

De petites étoiles s'allument dans mes yeux.

« Igi ari ! Hm. Non… » Je pointe mon index fièrement vers lui, avant de réaliser que l’expression ne lui parle probablement pas en japonais. Je me ravise, réfléchis, et réessaye avec la bonne formulation. « Objection ! »

Je sautille un peu, bizarrement enjouée par ma déduction – et parce que j’avais quand même un drôle de crush sur le héros de cette série de jeu, quand j’étais enfant. Sur l’héroïne aussi, d’ailleurs. Mon cœur avait longtemps balancé entre la justice et le mystique, avant de tomber du côté du mystique, mais c’était un peu parce que je m’étais trouvée trop timide, et trop bête, pour poursuivre une carrière où il fallait toujours bien parler et toujours être en train de travailler dur. Au moins, le paranormal, tout comme la voie artistique où je m’étais engagée, c’est un peu plus comme un doux terreau pour les gens… considérés comme étranges par la vie. Et ce constat-là me convient bien mieux.

« C’est… vraiment cool. Oui ! » Je bats des mains comme une enfant particulièrement enthousiaste. Puis je me remémore que Nathan avait mentionné beaucoup d’autres choses, que j’avais momentanément ignorées pour me concentrer sur l’excitation d’avoir compris son métier, et je m’y atèle un peu précipitamment, levant les mains pour le rassurer. « Et pour… Enfin. Hiyori. L’autre personne ? Elle a bougé. Et. C’est allé bien. Elle a… Pouf ! Après. Et tout va bien. Alors… »

Enfin elle allait bien aux dernières nouvelles. Je n’avais pas été voir son blog depuis un moment. Il fallait que je pense à lui envoyer un mail, ou quelque chose. Pour lui raconter tout ça, quand je serais rentré. Oh. Et il faudrait aussi que j’appelle Aminata. Seigneur, elle n’allait pas en revenir…

Mais pour couper court à cette nouvelle tentative de divergence de la part de mon cerveau excité, j’essaie de me remémorer les promesses de Nathan dans l’ordre où il les avait émises, en les comptant ostensiblement sur mes doigts.

« Taxi. Poulet. Et gaufres ! » Mes yeux brillent légèrement à la mention de ces dernières, et je trépigne très légèrement sur place. « Moi je dis… Oui, oui, oui ! »

Alors là. Maintenant que c’est dit, si il m’annonce qu’en fait son offre a expiré, je vais grogner. Ou plutôt mon estomac va grogner. Il grogne, d’ailleurs. C’est une tactique préventive d’intimidation. Maintenant que le monde sait qu’il est affamé, quiconque me refusera de la nourriture sera aussitôt catalogué comme un monstre sans cœur. Que la nature est bien faite, parfois…

Je m’en vais ramasser mon Ukulélé, et le cale dans mes bras, contre le plaid, avant de me retourner fièrement vers Nathan.

« Alors, on va ! Monsieur Nathan ! Hop hop ! »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 9 Jan - 1:50

Une grosse demi-heure plus tard.

« L'avenue des Arts. Broad Street, les lofts Southstar. Treize dollars trente-sept, je vous prie. »

La nuit s'était empressée de tomber depuis qu'ils avaient quitté Market Street et le cabinet de Nathan et traversé la Schuylkill. Elle flotte désormais comme un lointain écran de fumée entre les hautes colonnes de bâtiments qui bordent l'avenue. La lune, large et pâle, y paraît à l'étroit et semble se hâter elle aussi de quitter cette rue de jour perpétuel où elle n'a aucun empire. Les réverbères font jaillir des traînées de lumières comme des feux d'artifices dorés jusqu'à l'hôtel de ville dont on discerne la silhouette bleutée, tout au bout de Broad Street.

Yoko est encore parfaitement émerveillée, le nez collé à la vitre de la voiture. Nathan, lui, s'était décidé à penser que cette soirée était un long rêve lucide dont il finirait sans doute par s'éveiller, tôt ou tard. Avec un peu de chance, l'épisode Kevin Henderson était lui aussi une fantaisie de son esprit. Quand il reviendrait à lui, rien de tout ça ne se serait passé. Presque indolent, il trouve son portefeuille dans la poche intérieure de son manteau et paie la vieille latina qui attend son dû au volant en mâchonnant nonchalamment une cigarette éteinte.
Le froid de la rue les accueille, Yoko et lui, alors qu'ils descendent sur le trottoir glacé, et il remonte le col de son manteau dans un frisson. Ici, on perçoit en tendant l'oreille la rumeur festive qui bourdonne vers le centre-ville et qu'on voit vaguement s'affoler au loin, mais cette partie de l'avenue est destinée aux résidences. Un calme relatif y règne, malgré les voitures embouteillées sur la route, à cette heure où beaucoup achevaient leur journée de travail et rentraient chez eux. Nathan plisse ses yeux vers l'hôtel de ville en enfonçant une de ses mains dans ses poches, l'autre tenant toujours la poignée de son attaché-case.

« C'est une des plus belles rues de Philadelphie, l'avenue des Arts. Il y a beaucoup de théâtres, ici, de musées, de galeries, d'opéras... C'est aussi là qu'ils organisent les parades du Nouvel An. Mais... mon dieu, c'est vrai, tu es en chaussettes... ! »

Il la contemple d'un œil écarquillé, heurté de plein fouet par ce constat au milieu de sa petite causerie touristique, et lance un regard à l'enseigne lumineuse des Southstar Lofts, dont les séparent un passage piétons luisant de verglas et un long trottoir enneigé. Rapidement, il prend une résolution et cueille la main de Yoko en posant un genou à terre pour l'aider à monter sur son dos, et en lui remettant en même temps la charge de sa mallette.

« Tiens, dépêche-toi, grimpe, ce n'est pas très loin. »

Quand il est certain qu'elle s'est bien accrochée autour de son cou, il referme aussi solidement qu'il peut ses mains sur les cuisses de Yoko et se relève vaillamment. Heureusement, elle n'était pas bien lourde, ou du moins, ce ne serait pas son poids le paramètre le plus périlleux de la traversée.
Dans un petit souffle vibrant d'auto-persuasion, il s'engage très prudemment sur la chaussée, profitant des embouteillages pour slalomer entre les voitures arrêtées sur le passage piétons. La semelle plate de ses chaussures patine dangereusement sur la petite couche de givre qui recouvre le bitume.

« Çaaa va bien aller... »

Il grimace discrètement, quand même, parce qu'il n'est clairement pas à l'abri de glisser fort peu dignement en plein sous les phares des véhicules qui jettent sur eux de la lumière comme des spots sur la piste d'un cirque. A force de prudence, ils parviennent miraculeusement à rejoindre le trottoir où Nathan met le pied dans dix bons centimètres de neige qui viennent tremper ses chaussures et le bas de son pantalon.
Au moins, le sol est maintenant stable sous ses pieds et il peut faire légèrement sauter Yoko sur son dos pour l'empêcher de dégringoler, en raffermissant son maintien, puis sa démarche. Il avance jusqu'à une bouche de métro, où la neige perd de sa mollesse et devient tassée, compacte, dure comme de l'asphalte, puis le long d'un diner à la devanture bleue. Et bientôt, ils arrivent presque au sec, sous le porche du petit immeuble, et il dépose Yoko sur les marches qui conduisent à l'entrée dans un  soupir rassuré.

Son cœur tambourine une envolée victorieuse dans le creux de sa poitrine et il rayonne tout en montant le petit escalier et en jetant un regard crâneur en arrière sur la route d'obstacles qu'ils venaient de traverser.

« Bon, ce n'était pas si compliqué, finalemee-eent... ! »

Son pied dérape brusquement sur une marche. Surpris, Nathan lance ses bras en avant pour se retenir et ils battent en l'air une ou deux secondes comme des ailes atrophiées, avant que la gravité reprenne de force ses droits et que ses stupides semelles hors de prix ne le précipitent dans une petite congère que le concierge avait balayée en tas en bas de l'escalier. La neige amortit sa chute mais la douleur vient faire vriller sur ses yeux quelques taches colorées qui s'agitent comme les étincelles d'un pétard qui éclate. Plongé dans la poudreuse comme dans un pot de peinture, il laisse échapper un petit éternuement déconcerté en battant fébrilement des paupières.

« Wow... »

Il a mal aux fesses. Après une chute d'une hauteur d'un peu plus d'un mètre, c'est tout naturel. Quelques passants pouffent en sortant du diner et quant à lui il devient tout à fait écarlate de confusion et de honte sous les yeux de Yoko. Il se redresse laborieusement, mais aussi rapidement que possible il se remet sur ses pieds, égrenant en même temps un rire léger qui fait clairement deviner son embarras, s'il ne se lit pas assez bien sur ses joues. Il remonte une marche en toussotant et écarte ses bras de son corps pour remarquer que désormais il est parfaitement blanc de la tête jusqu'aux pieds. Cette fois, portant un regard navré à son postérieur, enfariné lui aussi, alors qu'il se masse les reins, il lâche un rire de dérision plus sincère.

« Eh bien regarde-moi ça, c'est fini, je ne danserai plus jamais comme avant maintenant... »


Dernière édition par Nathan Weathers le Jeu 23 Mar - 20:08, édité 1 fois
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Yoko Ogawa

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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeDim 15 Jan - 1:21

Il y a quelque chose de particulièrement régressif à se faire porter sur le dos par quelqu’un. Malgré mon hésitation initiale, et le drôle de frisson un peu dérangeant que m’avait évoqué l’arrivée un peu trop ferme de ses mains, sous mes cuisses, j’ai fini par laisser aller mes bras autour de son cou, confortablement appuyée sur ses épaules, et je soupire paisiblement dans l’air glacé de décembre. Mon souffle blanc vient le couronner d’un petit nuage, alors qu’il s’avance prudemment sur la rue verglacée, comme partant en expédition dans l’arctique, et je m’efforce de ne pas bouger pour nous éviter à tous les deux une tragique perte d’équilibre. Ça n’est pas facile parce que dans sa concentration, ou ses tentatives de se rétablir sur ses appuis sans me flanquer par terre, ses doigts se resserrent parfois un peu brusquement sur mes jambes, m’arrachant une petite grimace ou deux à l’occasion.
Mais je ne lui en veux pas. D’abord parce qu’il ne fait probablement pas exprès, et ensuite parce que, et même si le fait que ma peau marque facilement me garantit quelques bleus de ce côté-là demain matin, la traversée aurait sans aucun doute été beaucoup plus rude et éprouvante si j’avais dû l’exécuter sur mes deux pieds.

Les engelures, même légères, ça n’était jamais une partie de plaisir. Rien qu’avec le vent, et l’humidité de mes chaussettes, pour le moment, j’avais l’impression que des petites fourmis s’appliquaient sagement à me courir entre les orteils. Alors si j’avais dû patiner sur le verglas…

Je frissonne doucement. Heureusement pour moi, le super avocat Nathan et ses courageuses épaules sont venus à ma rescousse.

La traversée n’est pas sans périls, mais le capitaine est courageux, et il nous conduit à bon port, armé d’un impressionnant mélange de prudence et de volonté. Moi, j’ai d’autres préoccupations, parfaitement absorbée par la fresque lumineuse qui fourmille et se meut tout autour de moi, des voitures aux devantures, en passant par l’avalanche de décorations rajoutées pour les fêtes… Même quelques étoiles courageuses, perçant le ciel lointain et nuageux, à certains endroits, se joignent à la somptueuse parade, alors que je lève parfaitement le nez en l’air. La lune est encore cachée, elle, mais je me prends à penser qu’elle doit se sentir drôlement intimidée par la concurrence que lui fait la ville, là, en bas, et que c’est probablement normal qu’elle n’ose pas montrer sa pâleur fantomatique devant tant d’éclats et de couleurs.
Moi, au milieu de tout ça, j’ai beaucoup d’empathie pour la lune, malgré le fond d’émerveillement enfantin qui me tapisse la poitrine. Quand on a fini par s’habituer au calme et à l’obscurité de la campagne, être téléporté au milieu d’une rue si riche et vivante, c’était un peu…

Écrasant.

Nathan me tire de ma contemplation en ajustant la prise qu’il a sur mes jambes, et je glapis brusquement, sursautant contre son dos, avant de réaliser que je ne vais pas me faire catapulter par terre. Mes bras se sont accroché un peu plus fermement autour de son cou, et je marmonne un petit « Pardon… », le cœur encore tout retourné de l’émotion soudaine.
Nous cheminons encore sur quelques mètres, pour atteindre ce qui semble être l’entrée de son immeuble, puis je me laisse sagement reposer sur le sol. Un long frisson remonte le long de mon échine alors que la plante de mes pieds retrouve le contact glacial avec la pierre humide du porche, et je serre mon petit chargement contre moi, en laissant filer un long et tremblotant soupir plein de vapeur d’eau.

« M… Nathan ! »

J’étais sur le point de remercier mon chevalier servant quand celui-ci disparait brusquement pour aller s’effondrer dans la poudreuse, avec un grand fracas. Catastrophée, et les mains toujours pleines de choses trop précieuses et fragiles pour être lâchées sur un coup de tête, je le regarde tomber avec un mélange de surprise et d’horreur dans le regard, la bouche encore entrouverte sur la fin de son prénom. Mes yeux accompagnent sa chute, ainsi que mon menton, et je ne peux qu’assister, impuissante, priant pour qu’il ne se soit pas fait trop mal.

« Est-ce que… »

Il se relève. Bon. Il n’est pas paraplégique, je suppose qu’on peut dire que c’est une bonne nouvelle. Je redescends timidement d’une marche, avec dans l’idée de lui prêter mon bras pour qu’il s’y accroche dans sa remontée, mais il semble se débrouiller parfaitement sans moi, alors j’oublie rapidement cette idée, et remonte avec lui me poster sur le pas de la porte.

Il rit, ce qui m’interloque un peu, ou du moins ses yeux semblent inviter au rire alors qu’il ajoute quelque chose que je ne comprends pas tout à fait. Peut-être que c’est un commentaire d’autodérision ? Ou… une référence que je n’ai pas ? Mes yeux se plissent un peu alors que je rassemble ma concentration, mais la tournure de la phrase me vexe, et je peine à comprendre ce que la danse vient faire là-dedans…

« Il faut pas… » Je fronce légèrement les sourcils, décidément perturbée par le sens de sa remarque, et avec au ventre l’impression un peu désagréable de rater quelque chose. « Il faut pas danser… si le sol… être glissant. »

Non, vraiment je ne comprenais pas. Mais peut-être que ce n'était pas si important, après tout. La priorité, maintenant, et surtout à présent que nous étions deux à nous les geler très tristement sur le pas de la porte, c'était de quitter les terres inhospitalières de ce porche enneigé. Sautillant sous son nez, j'essaie d'attirer son attention.

« Il faut rentrer. Ou… On va avoir. La maladie du froid. Avec le nez comme… une rivière. » Je souris, me mordant la lèvre, une petite étincelle de fierté traversant mon cœur et mon regard, alors que je me rends compte que plus le temps passe et plus je m’améliore dans cette gymnastique mentale d’improvisation linguistique. Je ne me sens presque plus mal à l’aise, maintenant, lorsque j’ouvre la bouche pour lui répondre quelque chose. Portée par l’enthousiasme, et alors qu’il sort ses clefs d’une poche encore toute enneigée de son manteau, je rajoute un petit « Hop, hop, hop ! », piétinant sur place presque autant pour réchauffer mes pieds que pour l’encourager.

La porte s’ouvre enfin, sur un hall particulièrement… luxueux, qui m’interloque un peu, alors que j’y pose les yeux pour la première fois, mais mes pieds ont d’autres priorités. Je me précipite sur un tapis, pas très loin, pour y frotter, puis y tapoter mes chaussettes doucement pour faire partir la sensation de picotement très désagréable que le changement de température est en train d’y installer. Le dégel est si brutal que c’en devient même presque douloureux, et je grimace, relevant le nez en direction de Nathan, qui entre à ma suite pour s’ébrouer.

« Il faudra. L’eau chaude. Pour les pieds, je crois. C’est… » Je tapote mon pied droit par terre comme pour illustrer mon propos. « Tout endormi. »
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Nathan Weathers


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 16 Jan - 23:55

« Non, euh. C'était une blague nulle. Sur les blancs. Qui ne savent pas danser. Et comme je suis tout blanc maintenant... Eh, tant pis, c'est encore pire à expliquer. »

Il grimace, plein d'un très lourd embarras devant la mine tissée de perplexité et de reproches de Yoko. Eh bien, si on ne pouvait plus compter sur l'humour – même douteux – pour se sauver des situations inconfortables... Heureusement, elle n'a pas l'air de s'en formaliser longtemps, parce que décidément, vraiment non, Nathan ne voulait pas envisager de s'enfoncer dans des explications sur le stéréotype ancestral du noir qui danse, tout en affrontant la barrière de la langue.
De toute façon, la jeune fille ne lui laisse pas davantage de temps pour se remettre de ses émotions et commence déjà à se trémousser dans l'air froid du soir.

« Attends, attends, une petite seconde, s'il te plaît... ah, voilà. »

Ses doigts sont gourds et malhabiles tandis qu'il cherche dans sa poche son trousseau de clés et l'en sort d'un geste accompagné d'un profond frisson. Quelques flocons de neige fondus se sont glissés dans son col et dévalent joyeusement la courbe de son échine, sous sa chemise. Un petit sifflement d'inconfort filtre entre ses dents et il s'ébroue comme un chien mouillé, manquant au passage de laisser tomber les clés dans les escaliers. Il les rattrape de justesse et s'empresse de porter son badge magnétique au lecteur pour faire ouvrir les portes.

« Ouf, Dieu merci. »

Poussant un soupir une fois à l'intérieur, il réprime quelques éternuement qui se frottent à son museau rougi par les échanges de températures et fait quelques pas sur le tapis pour y taper ses chaussures en cuir patiné. Il bat doucement des bras, comme un pingouin désœuvré, et soulève de grosses nuées floconneuses depuis son épais manteau. Il s'était encore mis dans un bel état. Sans parler du fait qu'il avait encore le coccyx très douloureux.
La chaleur électrique du hall fourmille presque désagréablement sur sa peau glacée. Il passe une main engourdie dans ses cheveux pour les ébouriffer et en balayer toute la neige qui s'y est accrochée, pendant que Yoko semble s'inquiéter de ses pieds ankylosés. Il fait monter vers elle un sourire patient.

« D'accord. Courage, tu seras bientôt au chaud. »

Il passe près d'elle pour récupérer sa mallette en la remerciant du regard et ouvre la voie vers l'ascenseur, tandis qu'elle lui emboîte le pas avec son ukulélé, traînant ses chaussettes humides sur le damier impeccable du carrelage. Ils forment un curieux tableau, elle et lui, en montant jusqu'au dernier étage, l'une à moitié défroquée, l'autre trempé de la tête aux pieds, et Nathan croise leur reflet dans le miroir de la cabine avec un petit gloussement amusé. Il essuie encore un peu son manteau du plat de la main, mais l'effort semble bien futile au bout du compte, alors il laisse tomber en haussant les épaules au moment où les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur eux. Les lumières du couloir s'allument automatiquement à leur passage et le jeune homme conduit son invitée jusqu'à la porte de son appartement. Il la déverrouille dans un léger cliquetis qui sonne comme une petite trompette de la providence.

Ils entrent dans un vestibule encombré d'une jolie bicyclette qui attend là que les beaux jours reviennent, appuyée tristement sur sa béquille. Nathan retire ses chaussures en grimaçant et les secoue piteusement pour les égoutter, avant de les abandonner sous la chaleur d'un radiateur. Avançant de quelques pas dans le salon, il actionne un interrupteur qui fait pleuvoir un océan doré de lumières depuis des lampes suspendues qui flottent inégalement au plafond, comme une nuée de ballons qu'on aurait lâchés dans l'appartement. Leurs éclats viennent miroiter sur les vitres des très larges fenêtres qui donnent au fond de la pièce sur le ciel d'un noir d'encre et sur les animations festives de Broad Street. L'intérieur est vaste et ouvert, il sembler surnager au-dessus de la ville.
La poitrine de Nathan se relâche dans un petit élan de soulagement. Il pose son attaché-case sur son bureau, sous un escalier en acier noir qui grimpe élégamment à l'étage. Il surplombe le reste du salon qui est peuplé de vieux meubles en bois achetés dans des brocantes, et tapissé de bibliothèques mais aussi de briques à nu où sont accrochées de grandes affiches colorées et de très belles photographies de famille et d'amis. Il y a aussi un grand piano, qui garde l'entrée d'un couloir à l'autre bout de la pièce, et auquel est sagement appuyé un étui de contrebasse. Derrière son profil élancé, noir et lustré, un gros sapin de Noël répand une agréable odeur de résine, paré d'atours rouges et dorés.

Nathan contourne un très beau canapé en L, en cuir noir et blanc, qui cerne la télévision mais aussi le poêle électrique qui l'intéresse et qu'il allume dans l'idée d'y faire sécher leurs affaires. Il se retourne bientôt vers Yoko, avec un grand sourire et un gros soupir au bord des lèvres.
C'est alors qu'à travers l'obscurité du couloir, deux grands yeux bleus se dardent sur les nouveaux arrivants.

« Oh. »

Et puis, un immense Maine Coon blanc et crème arrive dans le salon en s'étirant de tout son long – et aussi de tous ses généreux bourrelets. Le chat est énorme. Ventripotent, mais superbe, il leur jette un long regard qu'on dirait presque contrarié en avançant d'une démarche chaloupée vers son maître.

« Ce gros patapouf, là, c'est Cyrano. Hmf. »

Au prix d'un effort considérable, Nathan parvient à prendre la bête dans ses bras et à la soulever contre lui, dans un glorieux tonnerre de ronronnements. Le chat grimpe sur son épaule, les yeux à demi-clos, et balaie l'air de son soyeux panache. Il le nourrissait trop, définitivement. Mais il le regrettait toujours trop brièvement. Il sourit de nouveau à Yoko, grattant Cyrano entre ses deux oreilles gris foncé et dans la crinière de son cou.

« Tu as de la chance, c'est rarement mon seul colocataire. D'habitude, les gens vont et viennent... Mais ce soir, on sera tranquilles, ils sont retournés chez leurs familles pour les fêtes. »

Sans cesser de ronronner comme un vieux moteur, l'énorme chat finit par se tortiller comme une grosse limace dans son étreinte et il se dégage de ses bras pour sauter lourdement sur le parquet. Avisant la nouvelle venue d'un regard impérial, il se frotte encore paresseusement aux jambes de Nathan qui se défait de son manteau, puis vient renifler curieusement celles de Yoko avant de déterminer si elles sont dignes de quelques uns de ses câlins touffus. Son maître, lui, s'affaire à suspendre son manteau à une chaise, près du poêle, ainsi qu'à trouver des chaussettes sèches dans le placard du vestibule, et il revient dans l'appartement, s'arrêtant au bout de quelques pas devant une grande cage vitrée agrémentée de grosses racines, de pierres, de mousse et de fougères.

« Il y a seulement Tamara qui a laissé son immonde araignée ici... Ça fait deux mois maintenant. »

Il fronce du nez d'un air dépité – et sceptique –  en tapotant du bout de l'ongle contre la vitre du terrarium. Quelques grosses pattes surgissent aussitôt de sous une roche moussue et il grimace dans un léger frisson. Il ne savait pas par quel moyen il réussissait à maintenir cette bestiole en vie. Tout ce qu'il espérait, c'était que Tamara revienne bientôt de tournée et de préférence avant d'avoir à déplorer la perte douloureuse de son amie poilue. Il avait fini par s'habituer à se procurer toutes sortes de blattes et de criquets et à les lui balancer encore vivants pour la nourrir, mais il était hors de question qu'il la sorte lui-même de son terrarium pour aller trouver un vétérinaire le jour où cette mocheté serait au bout du rouleau. Mais Tamara reviendrait. Elle reviendrait, n'est-ce pas ?

Il se redresse en jetant un dernier regard soucieux à la mygale qui part se balader sur sa toile en escaladant habilement son morceau de racine. Ce soir-là, il y avait quand même d'autres sujets d'inquiétude qui requéraient plus urgemment son attention. Il se retourne vers Yoko, cette drôle de grande enfant qui jette des regards ronds d'émerveillement tout autour d'elle, et avise de nouveau sa tenue débraillée avec embarras. La pauvre fille était encore congelée et toute engoncée dans sa veste de costume dont la coupe – il le reconnaissait – était moins taillée pour le confort que pour l'élégance.
Il lui désigne rapidement le canapé du doigt, en s'élançant sur le parquet pour grimper l'escalier noir qui mène à la mezzanine.

« Mets-toi à l'aise, surtout, installe-toi. Les toilettes sont à l'entrée, si besoin ! »

A l'étage, sous les combles, il trouve d'abord dans ses tiroirs un vieux de jean qu'il troque contre son pantalon de costume tout mouillé, puis un sweat chiné, bordeaux – celui sur lequel Hayley, sa filleule, s'était amusée à coller un écusson jaune qui disait « My spirit animal is a gummy bear ». Il passe sa tête dedans, après s'être débarrassé de sa chemise, et attrape un autre pull couvert de perroquets multicolores. Il redescend aussitôt, glissant presque sur les marches sous ses chaussettes pour le remettre à Yoko en passant près du canapé.

« Tiens, ce sera peut-être mieux. » Il lui lance un large sourire en revenant sur ses pas pour se diriger vers la cuisine. « Je vais te faire chauffer de l'eau, pour tes pieds. Tu veux boire quelque chose ? Un café ? Du thé ? Un chocolat chaud... ? »


Dernière édition par Nathan Weathers le Mar 11 Juil - 3:09, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMer 1 Fév - 2:20

« Pa-ta-pouf ! »

Un petit rire vient éclore dans le nid de ma gorge, alors que j’observe, fascinée, l’escalade de l’impressionnante créature. C’est un chat, avec la taille d’un chien, et l’élégance d’un grand dragon, de ceux qu’on voit dessiné dans les recueils de contes shinto. Je suis même étonnée, en me penchant sur lui, de ne pas découvrir quelques paires de pattes griffues supplémentaires, dissimulées au milieu de sa soyeuse fourrure sur toute la longueur de son gros ventre de chat. Croisant le regard de l’animal, je lance timidement mes mains à sa rencontre, presque inquiète de les voir disparaître dans sa gueule, tandis qu’il semble me jauger du haut de l’épaule de son maître.

Le chat permet, cependant, que ma main approche sa fourrure, et comme une paresseuse mais bienveillante divinité, accordant sa grâce après une longue réflexion, il vient écraser le bord de sa gueule contre mes petits doigts gelés. Je glousse, secrètement ravie de cette consécration féline, avant de reporter mon attention sur les paroles de mon hôte.

« Ce soir. Le colocataire c’est moi. »

Mon attention reste encore longtemps accaparée par l’animal, et je m’accroupis aussitôt qu’il s’approche de mes jambes, pour l’observer de plus près. Enroulant mes mains autour de mes pieds, je dévisage longuement cet énorme chat-dragon-divinité. Après s’être reculé d’un pas, il me contourne, et m’inspecte, moi, cette créature intruse posée en plein milieu de son territoire, en essayant de mêler la méfiance et la supériorité à sa démarche. Mon esprit, en revanche, l’a déjà rebaptisé « Patapouf », ce qui a l’inconvénient d’ôter fatalement toute substance à l’expression de vague suffisance qu’il tente de peindre sur son petit visage de chat. Je ris, de bon cœur, tendant mon index pour le poser sur le bout de sa truffe, le faisant reculer très légèrement, presque vexé.

« Bonjour Monsieur Patapouf Cyrano. Je n’suis pas un gros chat mouillé venu te prendre ton territoire, alors sois gentil avec moi, d’accord ? »

J’ai parlé en japonais, et la chose semble tout autant curieuse qu’inquiétante pour ce pauvre Cyrano, qui s’assoit pour me dévisager, avant de pousser un long miaulement plein de confusion. Profitant d’être déjà à genoux par terre, je retire mes chaussettes, puis je m’incline poliment dans sa direction.

« Ojama shimasu ! »

C’en est trop pour le chat, qui penche la tête sur le côté, quelques secondes, avant de reprendre son chemin, sautant souplement sur le canapé, puis escaladant son dossier, pour observer toute cette agitation de là-haut. Moi, je me redresse, imitant mon hôte pour aller mettre ce qu’il reste de mes chaussettes à sécher sur le radiateur, avant de trottiner jusqu’au canapé, en adressant un regard circonspect à la tarentule. Pas que les araignées me fassent particulièrement peur, mais quand elles dépassaient la taille de ma main, j’étais également de l’avis qu’elles étaient bien mieux derrière une paroi de verre.

Nathan monte à l’étage, et j’en profite pour me défaire de la veste de costume, pour la replier proprement, et la poser à côté de moi sur le canapé avant de m’enrouler de mon plaid. Cyrano, lui, semble considérer le vêtement un long moment, comme si je venais de lui faire une offrande, puis saute souplement tout à côté afin de le renifler. Puis, après avoir médité encore quelques secondes sur la distance qui séparait cet intrus de ce parfait endroit où se vautrer, il laisse tomber sa gracieuse masse poilue sur la veste, et commence à se lécher la patte.

«  Tu sais je ne suis pas certaine que ton maître soit tout à fait d’accord avec cette décision, Monsieur. » La bête ouvre un œil dans ma direction, mais continue sa toilette sans plus de perturbation. Je hausse doucement les épaules, remontant mes jambes contre moi pour masser mes pieds engourdis, et les réchauffer doucement. « Après tout, c’est toi qui voit. »

Le froid a installé des milliers de petites fourmis sous la peau de mes jambes, et à mesure qu’elles se réchauffent, j’ai l’impression que les vilaines petites se sont mises en tête de se faire un festin de mes orteils. Ça picote, de plus en plus fort, et sur une zone de plus en plus dense et diffuse, comme si la chaleur affolait les insectes, à l’intérieur, et les forçaient à me piquer et à me mordre. La sensation passe de désagréable à douloureuse, et plus mes pieds se désengourdissent, plus je commence à regretter qu’ils le fassent. Je frotte ma peau toute pâle, de mes doigts rougis – dont l’intérieur semble vrombir, lui aussi, mais beaucoup plus supportablement – et hoche timidement la tête lorsque Nathan redescend au salon.

« Le thé. C’est très bien. Merci. Avec… Du lait ? Et beaucoup. Du sucre ? Pour le moral. »

Attrapant le pull entre mes doigts, je souris, un peu plus franchement, et je profite qu’il s’éclipse jusqu’à ce que je suppose être sa cuisine pour l’enfiler, et me pelotonner dans toute cette chaleur sèche, distraite un moment de mes douleurs plantaires. Cyrano me regarde faire, tout aussi paresseusement, et alors que mon regard croise le sien, je cligne très lentement des yeux. J’ai lu quelque part sur le net que c’était un truc que faisaient les félins pour se communiquer leurs intentions pacifiques, les uns envers les autres. Le grand patapouf ne semble pas s’en offusquer, en tout cas. Il me rend même mon clignement. Encouragée dans mes efforts, je tends une main à sa rencontre, prudente, pour voir s’il la laissera de nouveau approcher.

« Voulez-vous… une grattouille, Monsieur Patapouf-Cyrano ? »

Pour être tout à fait honnête, je m’attendais plutôt à me faire envoyer sur les roses, d’un miaulement désintéressé, au bord de la condescendance, surtout au vu de l’indifférence flagrante qui avait caractérisé l’humeur du fier félin à mon égard, pourtant ce dernier bondit soudain sur ses pattes, les yeux grands ouverts et braqués sur moi. Je sursaute, persuadée que c’est le signal de ma défiguration imminente, et tente de me reculer, mais mes réflexes de petite humaine vaguement encore transie de froid sont bien trop émousser pour même espérer faire le poids face à ceux de la bête.

Il bondit à moitié, jetant ses deux pattes – étonnamment toutes griffes rentrées, pour mon plus grand soulagement – sur mon épaule, et avec une force que l’on ne pourrait pas aisément soupçonner chez un animal de sa catégorie poids/taille, il vient écraser le bord de son museau sous mon menton. Il vient s’y presser si brusquement que je me mords un bout de langue, échappant un glapissement de panique, en m’effondrant à moitié sur le côté dans le moelleux du canapé. Le dangereux prédateur, visiblement soudain en terrible mal d’amour, se précipite, sautant sur l’opportunité pour m’escalader le flanc, et se frotter de tout son long, laissant derrière lui une traînée de poil accrochés à mon pull d’emprunt. Il miaule, pesant de tout son poids sur moi alors que j’essaie de me relever, et je finis plaquée au canapé, avec six ou sept kilos de chat étalé amoureusement sur la poitrine.

« Alors heum… C’est peut-être un peu-euuu… exagéré, monsieur… oh. »

De son museau, il cherche la caresse de mes doigts, et s’affole, alors que je les approche de lui pour le repousser, ronronnant si fort qu’il en fait trembler ma cage thoracique, en dessous, et je ne sais plus très bien quoi faire. Lui laissant ma main, contre sa gorge, pour lui accorder les grattouilles qu’il semble réclamer si fort et avec tant d’insistance, je tourne ma tête en direction de la cuisine, espérant que Nathan ne tarde pas à revenir pour me libérer de tout cet amour.

« J’ai un peu de mal à respirer, comme ça, tu sais… ?»
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeDim 26 Fév - 5:19

« Voilà pour tes pieds, et le thé est en train d'infus-... Oh. »

Nathan porte une bassine d'eau fumante à bout de bras. Il s'arrête net au milieu du salon, non loin de son piano, et offre un regard de parfaite consternation à la scène qui se joue sur son canapé.
Bien sûr, son chat était d'habitude très câlin, mais davantage envers ses vieilles connaissances qui allaient et venaient dans cet appartement plutôt qu'envers les nouveaux arrivants pour qui il ne témoignait que de la méfiance pendant quelques heures, ou quelques jours tout au plus. Autant dire que le retrouver vautré avec tant de passion sur une inconnue rencontrée une poignée de minutes plus tôt avait de quoi surprendre.

« Mais Cyrano, enfin, qu'est-ce que tu fabriques... ? »

Aussitôt, il dépose sa bassine d'eau chaude au pied du canapé et accourt à la rescousse de Yoko pour capturer son énorme geôlier entre ses bras. Le chat râle, miaule au désespoir et se débat dans l'étreinte malhabile de son maître qui lutte pour le tenir éloigné de sa victime. Embarrassé par le poids de l'animal, il chancelle sur ses jambes et manque de renverser la bassine en reculant de quelques pas. Peu à peu, Cyrano renonce à la lutte et se laisse traîner de très mauvais cœur, sa queue se balançant lourdement de gauche à droite, alors qu'il darde ses yeux bleus sur Yoko avec une exigence absolue.

« Je suis désolé, d'habitude il n'embête pas les invités comme ça... »

Confus jusqu'au rougissement, Nathan écarte la bête désormais très grognon du canapé et l'envoie avec effort se balader vers son arbre à chat dans un coin de la pièce. Cyrano y monte, très pataud, et tente de faire le beau en se toilettant méticuleusement depuis le sommet de son perchoir. Il couve toujours sa nouvelle humaine d'un regard où s'entremêlent mystérieusement l'avidité et la tendresse et son maître le contemple de son côté, les yeux ronds d'une complète incompréhension.
Puis, surveillant son délinquant poilu d'un regard méfiant, il retourne chercher son plateau en cuisine. Il y dispose deux tasses en céramique près de la théière bouillante, deux cuillères, son sucrier, et une coupelle de lait. Sans y penser, il emporte aussi le coffret du thé sous son bras, et transporte tout le nécessaire jusque dans le salon. Il a à peine passé le pas de la porte qu'il tombe sur le spectacle de son chat paradant sur le dossier du canapé, ronronnant comme un moteur, louvoyant autour de la tête de Yoko et amorçant un plongeon imminent sur ses genoux, tandis qu'il s'étire de tout son long et cherche un appui sous ses coussinets.
Nathan bondit vers lui et s'écrie de son air le plus fâché.

« Mais non, voyons, ça suffit ! Je t'ai à l’œil maintenant ! »

Pris sur le fait, Cyrano lève son museau vers lui dans un miaulement long et languissant, avant de s'enfuir ventre à terre, glissant à toute vitesse sur le carrelage alors que son maître se précipite pour le chasser. Il part se percher dans l'escalier et les observe dans un grondement, entre deux marches suspendues au-dessus du vide. Nathan le fusille d'un regard noir.
Puis, quoi qu'encore très circonspect, il s'en va poser plus calmement son plateau sur la table basse et fait face à Yoko en grimaçant un sourire navré. Il baisse la tête sur ses tasses jumelles et le lait qui tremble un peu dans la coupelle, il prend une inspiration et expire longuement, pour se défaire des nouvelles tensions qui se nouent dans ses épaules.
L'inexplicable, quand ça commence à se bousculer au portillon, même à titre de petites bricoles, de détails insidieusement dissonants, et quand peu à peu ça vient hanter des havres que le quotidien nous a toujours donné pour familiers, paisibles et protecteurs, ça remplit l'air d'une drôle de pesanteur et le cœur d'une fumeuse oppression. Nathan a un peu de mal à respirer.
Pourtant, cette fois-ci, ce n'est que son chat qui fait un caprice, et ces bêtes-là, il arrivait qu'elles pètent mystérieusement un plomb, d'une seconde à l'autre, c'était un peu dans leur nature. Il n'y avait aucune raison d'y trouver un motif d'angoisse. N'est-ce pas ? Pourtant il est difficile de s'extirper de ce furieux sentiment d'asphyxie qui revient le prendre à la gorge. Il inspire, il expire, son souffle est ample, il traverse sa gorge, son poitrine et son ventre, comme il l'y a toujours exercé avant chaque prise de parole décisive. Ça ne prend qu'une seconde, comme à chaque fois, et Yoko, comme l'assistance dans un tribunal, ne peut pas remarquer ce trouble qui passe.
Il pince ses lèvres et relève le nez de son plateau, en trouvant en chemin une voix relativement détendue.

« Vraiment, je ne sais pas ce qui lui a pris. »

Il sourit de nouveau, finement, et de façon plus convaincante, puis il attrape délicatement la hanse de sa théière en fonte pour servir deux longues lampées mordorées dans chaque tasse.

« Il a dû tomber follement amoureux de toi. Ça ne s'explique pas... Les coups de foudre, c'est comme les choses de la magie. »

Il lâche un rire très léger en papillonnant des cils vers Yoko et repose sur le plateau sa lourde théière qui en même temps laisse échapper un soupir subtil. Il contemple la jeune fille un petit instant, avant de tiquer en considérant ses propres paroles.

« Enfin... je ne sais pas trop. »

Il hausse des épaules, très incertain, et plonge trois généreuses cuillères de sucre dans sa tasse. Puis il vient s'asseoir dans le canapé près d'elle, son ballotin de thé entre les mains. Nathan, il n'y connaît pas grand-chose, ni aux déplacements spatio-temporels, ni aux coups de foudre ; c'est un jeune homme assez éloigné des choses de la magie. N'en déplaise à sa fantasque invitée, tous ces mystères le laissent fichtrement perplexe, et même au bord de l'angoisse.
Triturant son coffret de thé en vrac, il contemple pensivement le gouffre qui vient de rouvrir sa bouche béante sous ses pieds. Ce n'était pas vraiment le moment d'ajouter d'autres soucis à sa peine et encore moins d'assimiler les incompréhensions de sa vie romantique à l'absurdité massive qui à la façon d'un terroriste fou furieux avait explosé ce soir un des piliers qui donnaient du sens à son existence dans le monde. Il y avait un pas là qu'il ne souhaitait pas franchir. Il s'éclaircit la gorge et tente une diversion.

« En tout cas, c'est du thé de Noël. Du oolong et du thé vert, avec hm... » Il porte le ballotin à son regard et redresse ses lunettes sur son nez pour en déchiffrer la composition, écrite en jolies lettres sur le plastique vert. « De la cannelle, de la noix de coco, du riz soufflé, des amandes... et des feuilles de mûrier. »

Il retrousse un peu son nez, doutant au passage que Yoko soit en mesure de comprendre ces derniers mots, et se penche, abandonnant son paquet sur le plateau pour attraper sa tasse qu'il entoure de ses doigts encore gelés avec un nouveau soulagement. Décidant que toute cette suite d'absurdités qui peuplent sa soirée importe moins que le confort immense qui l'entoure soudain, il s'enfonce dans le cuir moelleux de son canapé et prend une délicieuse et brûlante gorgée, qui saupoudre sa langue de notes d'amandes et de vanille. Il ferme les yeux dans un soupir qui produit quelques ondes sur la surface blonde de son thé et laisse son imagination former parmi ces saveurs un souvenir de frangipane et de pralines.
Sa poitrine se réchauffe. Quand il rouvre les yeux, son regard glisse sur le poêle électrique qui fait crépiter de fausses flammes derrière sa vitre et cette vision est presque aussi réconfortante que celle d'une véritable cheminée. Enfin, il se tourne gentiment vers sa voisine, à qui il sourit d'un trait prometteur.

« Sers-toi à ta convenance, Yoko, n'hésite pas. »
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Yoko Ogawa


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMar 28 Fév - 0:38

« C’est pas grave… »

J’offre à Nathan un petit sourire qui se veut rassurant, mais dont les teintes tirent naturellement vers la culpabilité alors que je réalise la situation. C’est probablement ma faute, en effet, si son royal matou a ainsi perdu le contrôle de ses sentiments. Ma faute, ou bien surtout celle de l’étrange phénomène qui hante mon existence.
Je rougis, aussitôt, mes yeux navigant à travers la pièce, à la recherche d’un îlot où se poser, pour me distraire de mes préoccupations. Ils errent un long moment, entre la table, la silhouette sombre du poêle, et les lignes entraînantes des escaliers, mais ils ne trouvent que ce brave Cyrano, un peu plus loin, et son regard tout brillant de volonté.

Qu’il est dur de fuir ses responsabilités lorsque celles-ci vous fixent droit dans les yeux de leurs scintillantes et félines pupilles.

« Au moins c’est… pas être. L’araignée. Le chat amoureux c’est… presque c’est la flatterie. »

Je me mordille doucement la lèvre, partagée entre un certain amusement à l’idée de ce prétendant félin, tentant de gagner mon cœur dans un scénario digne d’un film d’animation japonais, et le malaise habituel que provoquent toujours les manifestations de mon pouvoir. D’abord, parce que je ne possède, sur elles, et ce depuis le début, absolument aucun contrôle, quel qu’il soit, et ensuite, parce que chacune d’elle n’est que l’insupportable rappel du fait qu’un jour, Cyrano pourrait très bien s’avérer ne pas être un simple chat à la respectable stature, et qu’il n’y aurait pas toujours un Nathan près de moi pour voler à ma rescousse.
Ces deux idées se battent un moment dans mon esprit, tandis que je glisse finalement mes pieds dans l’eau chaude avec un long et douloureux soupir, puis je finis par balayer l’une et l’autre en secouant doucement ma tête. De ces deux bêtes sauvages, ni l’une ni l’autre ne gagnerait le privilège, ce soir, de faire son dîner de ma bonne humeur. Je me redresse, sur mon trône moelleux, levant le nez avec un enthousiasme déterminé, et je monte affronter avec courage le regard de mon prétendant éconduit.

« Heureusement, Monsieur Patapouf-Cyrano, c’est sûr il aura oublié moi, avant que je casse le petit cœur de chat dans son ventre... »

Je remue mes orteils au fond de l’eau, un sourire triste, légèrement énigmatique au bord des lèvres.

Les effets de mon pouvoir ne sont jamais très long, de toute façon. D’ici une demi-heure, grand maximum, nous serons revenus l’un pour l’autre deux parfaits étrangers, entretenant par principe une distance cordiale et respectueuse. Il n’y aura ni chagrin d’amour, ni cohabitation difficile, ni longs mois de dépression écrasante pour ce brave félin. Juste, peut-être, la vague sensation d’avoir été, quelque part, et pour quelqu’un, la cible d’une très mauvaise blague dont il ne gardera aucun souvenir.

Tout ira pour le mieux.

Je me penche prudemment, pour entourer à mon tour ma tasse fumante de mes doigts gelés. J’ai suivi mon hôte, dans son choix de parfum, portée par d’obscurs instincts de mimétismes, mais comme la tasse approche de mes lèvres, et que ses vapeurs, chaudes et sucrées viennent caresser mes joues, je n’en éprouve aucun regret.

Nathan, lui, semble faire de son mieux pour... Je ne sais pas bien. Ça ressemble à de la nervosité, ou bien de la fatigue. Peut-être un mélange des deux. Je médite là dessus un moment, comme face à un puzzle particulièrement complexe, et puis soudain, la réponse me saute au nez, comme un diable hors de sa boîte.

Prise dans les tours et les détours de sa bonne humeur, ses attentions et ses blagues, j'ai failli oublier, mais... Pour lui, c'est la première fois.

Ça a été si facile d'oublier, tant il le cache bien, et tant il est aimable, avec moi, et inquiet, et attentionné, pourtant lui vient de vivre un choc plus grand et plus terrible encore que moi. Je rougis. C'est très injuste de ma part de me laisser aller à jouer les gamines choyées, alors que peut-être je ne suis pas la seule à avoir besoin d'être... réconfortée. Aidée.

Accueillie...?

Je fronce les sourcils, et serre mes orteils dans leur petite bassine, animée d'une nouvelle détermination.

« Tu sais… » Je ne sais pas s’il sait, en réalité, mais c’est la seule façon que j’ai trouvé pour formuler la chose de manière à peu près fluide. « Enfin. C’est normal que tout ça c’est… » Mes doigts, commandés par un désir soudain de participer à mon explication, effectuent une danse de forme incertaine à hauteur de mes épaules, devant moi. J’appuie mon mime d’une petite moue inconfortable, cherchant à retrouver l’expression exacte du malaise que mes mots peinent à évoquer. « C’est bizarre. Et ça fait peur. Comment on dit… »

Il est clair que je manque cruellement de vocabulaire, alors que je m’aventure sur le terrain dangereux de la description émotionnelle, mais je tiens bon, déterminée à aller jusqu’au bout de ma pensée.

« Moi… Les… les choses de la magie. Oui ? C’est dans ma vie. Toute petite. J’ai vu… Non. J’ai vivre. Avec. »

Un euphémisme pour surpasser tous les autres euphémismes. Mais passons. Je n’ai pas particulièrement envie non plus de passer l’heure qui suit à lui détailler l’étendue des joies et des misères que ces choses avaient étendu sur ma vie. Surtout qu’il est probable que le pauvre ne trouve là qu’une source supplémentaire d’incompréhension et d’inquiétude. Pour un discours censé le rassurer, ça s’avèrerait plus que contre-productif.
Je me penche pour ramasser ma cuiller, et la faire tournoyer pensivement au fond de ma tasse. Les grains de sucre se mettent à tournoyer, entraînée par le courant, et leur danse élégante m’hypnotise un moment.


« Ensuite… je parle sur internet. Je trouve des gens autre. Ils ont ça aussi dans leur vie. On parle. On fait des recherches. On a des preuves, mais c’est dur. Les gens ils ont pas les choses dans leur vie, alors c’est dur de… croire. Oui. »

Cessant de jouer avec le contenu de ma tasse, je glisse ma cuiller entre mes lèvres. Un bref soupir circonspect s’échappe de mes narines, alors que quelques bribes de souvenir se détachent de la grande nasse de ma mémoire pour venir nager plus librement dans mon esprit. Cette époque semble si loin, et pourtant elle est encore si près. Si incertaine, aussi, parfois, alors qu’une parole mauvaise, un peu trop convaincante, s’amuse à venir ébranler le château de sable de mes convictions. Parfois, je la consolide, sûre de mes convictions. Validée dans mes jugements par un événement ou l’autre. Parfois, je doute, je reviens en arrière, je ré-épluche toute un pan de ma vie, et laisse les vagues de l’incertitude l’éroder peu à peu.

Mais aujourd’hui… aujourd’hui, moi je me sens comme si on venait de consolider mon château d’une grande chape de béton armé. Nathan, lui…

« Quand ça arrive. Dans une vie. Comme… Pouf ! Ça doit… être… pfiou… » J’ai l’impression de ne pas très bien savoir décider si je comprends sa confusion avec une empathie inouïe, ou si au contraire elle m’est à présent tout à fait lointaine. « Ouais. Moi au début. C’était… Ouah. »

C’est un sentiment très étrange. C’est là, quelque part, mais c’est comme si mon être rechignait à revenir en arrière, à revivre, même en souvenir, le gouffre dévorant du doute, qui s’ouvre sous les pieds de celui qui voit pulvériser les certitudes de sa réalité.

« Compliqué. »

J’ai l’impression que « compliqué » ne commence même pas à approcher de près la description adéquate de ces sentiments là, mais ma bouche, et ma mémoire fugueuse, ne parviennent pas à mettre de meilleur mot dessus. Il faudra faire avec celui-là.

« Et moi je sais. Là. Je voudrais que je réagir avec toi. Mais c’est pas… ça fait pas peur. Pour moi, comme à toi. Maintenant. Parce que pour moi c’est… »

Je m’empourpre, légèrement embarrassée.

« Moi j’ai croire, très longtemps, que dans ma tête c’était quelque chose qui va pas. Mon ami il me le dit. Et personne il me croit. C’est pas des choses qui sont des preuves très facile. Comme là. Alors moi j’ai… comment. J’ai le doute. » Gros soupir. Sous la voûte orageuse de mon crâne, mes souvenirs font les anguilles. Ils me glissent des mains pour fuir vers le large et le flou obscur des grands fonds. « Mais… aujourd’hui. C’est réel. Très gros et impressionnant. C’est une preuve. Pour moi. Je sais. Et je sais que je suis pas folle mais. Je le sais encore plus maintenant. »

Serrant ma tasse contre moi, je relève vers lui une petite mine décidée, souriante, reconnaissante, aussi, mais surtout pleine de conviction.

« Aussi, c’est un peu grâce à toi. Alors merci. Et pardon que dans ta vie ça doit faire… le bazar. »

Là encore, euphémisme parmi les euphémismes, mais je manque de volonté et de vocabulaire pour étoffer cette image-là.

Puis, finalement, alors que la conversation menace de sombrer dans un silence nerveux, une idée me vient, s’extirpant des profondeurs, comme un petit poisson d’argent aux écailles vives et scintillantes. Après tout, s’il y a bien une chose qui m’a aidée à reprendre pied, à l’époque où le « vrai » et le « réel » n’étaient plus que d’approximatives définitions sans substances ni fondations stables, ç’a été de me renseigner. De lire. D’échanger. De… plonger des deux pieds dans cette soupe surnaturelle pour en brasser franchement le contenu.

A défaut d’un réel sentiment de partage émotionnel, je peux lui offrir l’espoir que les choses s’arrangent, et des ressources pour retrouver un peu prise sur tout ça. Et ça c’est déjà une chose importante, pas vrai ? Mes épaules se relèvent, et ma poitrine se gonfle d’un mélange de fierté et d’inspiration.

« Si tu veux moi je fais des vidéos. Avec des livres qui sont bien sûr. Les choses de paranormal. Je donne des conseils. Et aussi je fais des jolis vlogs et d’autres choses, mais quand moi je serais à la maison. Si tu veux chercher. Je te dis et tu regardes ? Oui ? »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 12 Juin - 3:31


Nathan a perché pensivement son museau au-dessus de sa tasse de thé fumante. Il ne dit mot. Sa réflexion s’est perdue dans le labyrinthe d’explications farfelues de Yoko, en tentant de suivre le fil rassurant qu’elle cherche à dérouler sur ses pas. Manifestement, la pauvre a déjà toutes les peines du monde à s’exprimer dans un anglais compréhensible et la tâche qu’elle se propose malgré tout de remplir est fort ambitieuse. Au moins sa voix a-t-elle le ton de la conviction. Ses yeux, eux aussi, ses grands yeux noirs qui étincellent de trouble et d’intrigues sont pourtant d’une sincérité limpide.
Mais au milieu de cet échange, un mur invisible s’obstine à se grandir entre eux, encore et encore, menaçant et impitoyable, en dépit de tous les efforts qu’ils déploient chacun à leur façon pour le franchir. C’était comme s’ils ne vivaient pas sur la même planète, elle et lui, et que leurs compréhensions étaient trop radicalement différentes pour se rencontrer tout à fait. Yoko gratte et tâtonne, comme une petite bête opiniâtre qui veut voir le bout de son terrier, et il l’observe sans trop savoir quoi faire, le regard plus dérouté que jamais.
Au fond de lui, quelque chose résiste envers et contre tout et lui donne l’assurance formelle et absolue que ce qu’il vit aujourd’hui n’est que le produit extravagant de son imagination – un rêve dont il s’éveillerait demain matin, avec pour tout vestige un vertige très fugace.  
Pour le moment, rien n’est plus consolateur que cette pensée.

Quant aux confessions de son invitée, elles sont désarmantes. Tout interdit à Nathan, en son for intérieur, de l’interroger davantage sur les manifestations surnaturelles qui, selon elle, l’ont poursuivie depuis l’enfance. Même la curiosité s’est fait la malle. C’est un niet – tout ce qu’il y a de plus péremptoire – de son cerveau gelé par la panique.
Son regard lui-même finit par se débiner quelques instants, dans le fond doré de sa tasse tout d’abord, puis en direction de Cyrano qui les surveille depuis une marche d’escalier, allongé de tout son long. Il fixe finalement son attention sur le sapin de Noël, dont la guirlande électrique clignote comme un tic tac, derrière le piano.

Et puis viennent les remerciements parmi les plus chaleureux et les plus exquis qu’on lui ait jamais offerts. Ils sont en outre très inattendus et Nathan scrute de nouveau Yoko comme s’il avait la berlue. Elle a l’air si extraordinairement heureux. Son visage d’enfant s’éclaire et son sourire rayonne, jalonné de petites dents blanches parfaitement alignées. Cela lui échappait totalement. Un mouvement d’empathie lui soulève incompréhensiblement le cœur, et il lui sourit un retour, d’un air un peu incertain.
Il plonge de nouveau dans sa tasse de thé, tandis que le silence s’impose, et il en avale avidement le fond, qui chatouille son palais d’une dernière saveur pralinée. Yoko, elle, s’est redressée parmi les coussins du canapé et gonfle ses plumes, soudain, fière comme un petit coq. Il l’écoute lancer en l’air une ultime proposition, la plus audacieuse, comme un vaillant feu d’artifice sur un champ de foire, et il en reste suprêmement surpris.

Quelques longues secondes passent.

Son esprit avait refusé de se figurer ce qui se passerait pour lui demain, s’il s’éveillait et s’il fallait vivre en admettant que ce qu’il avait vu était réel. Il avait préféré jusqu’ici se terrer dans le trou plus douillet de la confusion, où il a brutalement conscience qu’il préférerait patauger mille ans plutôt que de se confronter maintenant à cette idée. Il doit déglutir, lentement, avant de baisser ses yeux écarquillés et de réfugier leur regard au fond de sa tasse vide.

« Mmmh... » Il s’essuie soigneusement la bouche dans le creux de sa main. Les mots ne lui viennent pas tout de suite. « Oui, c’est sûr que ça me ferait… ça me ferait plaisir ? De regarder tes vlogs. » Il ignore s’il le pense vraiment. Ça lui inspire une grosse bouffée de nervosité et sa respiration se coupe tout net pendant un instant. « Si… si cette histoire n’est pas juste un drôle de rêve, en tout cas... »

Il a un peu chaud, à présent.
C’est à son tour de faire des efforts, il le sent avec beaucoup d’évidence et d’urgence, surtout, mais il lui semble que pour lui, le travail à accomplir est herculéen. Qu’est-ce qu’il pouvait bien trouver à répondre à tout ce roman de science fiction qu’on lui pondait sur le coin de la figure et auquel il était sommé de croire sur le champ… ?

« Enfin, si ça se passe pour de vrai, corrige-t-il, d’abord, d’une voix plus faible que d’ordinaire, je ne crois pas que tu sois folle... Parce que ça devrait vouloir dire que je suis zinzin moi aussi, et les cas d’hallucination collective, je ne suis pas certain que ça marche exactement comme ça, haha. » Ce rire lui échappe, court et biscornu. « Alors… oui. C’est sûrement une preuve, ce qui arrive... »

Une preuve. Le mot lui-même, si familier pourtant, lui inspire d’horribles frissons.
Il doit respirer à fond et mettre de l’ordre dans ses idées. Dans un premier temps, il repose sa tasse sur le plateau, d’un geste qui essaie de retrouver un peu de contenance, puis il se redresse en gonflant ses poumons d’autant de courage qu’il le peut. Ses lèvres se pincent, ses yeux se plissent derrière ses lunettes. Il réfléchit un moment, avant de prendre la parole.

« Bon… J’aurais peut-être préféré rester tranquille sur mon petit îlot d’ignorance, en ce qui me concerne, mais… La vie nous joue de sacrés tours, parfois. » Il lui sourit, encore un peu nerveusement, et cille avec inconfort. Son pied renâcle silencieusement sur le carrelage et ses yeux fuient pour en suivre le mouvement. C’est une concession nécessaire pour pouvoir continuer de s’expliquer. « J’étais pas inconscient du fait… qu’il y a beaucoup de choses qu’on ignore sur notre vie ici, mais… Je ne pensais pas non plus que l’océan autour de mon îlot était si… étendu et… si insondable hm. Ce n’est pas franchement le genre de connaissance que j’aurais envié à qui que ce soit… C’est effrayant. »

Il s’arrête là d’un air contrit, porté par une honnête spontanéité, et il s’accorde encore un temps pour méditer à ces questions, l’esprit frisant l’affolement à chaque gouffre qu’il rencontre. Il se mord l’intérieur de la joue et se force à relever son regard vers le visage innocent de Yoko pour y chercher, dans un élan d’espoir, le peu de solidité qu’elle voulait lui inspirer. Ses lèvres se pincent davantage. Il réfléchit avec plus d’intensité encore, avant d’entrapercevoir, lointainement, une certaine éclaircie dans cette masse informe de nuages qui s’est monstrueusement charpentée au-dessus de sa tête.

« Après, je suis content que… qu’un truc aussi… insensé, comme ça… je ne sais pas, c’est un peu rassurant de voir que ça profite quand même à quelqu’un. » Il passe une main dans ses cheveux, perplexe, et ses pensées bourdonnantes s’acheminent au bout de leur raisonnement. « C’est que ça doit pouvoir s’affronter d’une façon ou d’une autre, pas vrai… ? »

Pas vrai…?
Son sourire est crispé. La solution, pour demain, ne serait sans doute pas de fuir dans l’incrédulité. Il avait peur, seulement, non pas d’être fou aujourd’hui mais de perdre la boule dans les semaines qui suivraient en remuant les souvenirs de ces événements. La bonne nouvelle, c’était que Yoko s’en était visiblement tiré avant lui et que par conséquent, il aurait le loisir de suivre le même chemin.

« Merci pour ta proposition, en tout cas. » Il lui sourit de nouveau, mais avec un peu plus de reconnaissance que de politesse cette fois-ci. Et puis il secoue vivement la tête. « Tiens. Allez. On va faire nos gaufres, ce sera moins métaphysique. »

Il se relève soudain du canapé, les jambes toutes fourmillantes de stress, et Cyrano sursaute depuis son perchoir. Il n’était pas encore l’heure de ruminer tout ça, après tout, il en avait bien assez vu pour aujourd’hui. Ils allaient occuper leur soirée plus agréablement et commencer par se remplir l’estomac.
Rassemblant le nécessaire à thé et les tasses vides sur son plateau, Nathan fait signe à Yoko de le suivre et après avoir traversé le salon en direction du piano, ils passent dans la pièce adjacente. C’est une accueillante cuisine blanche, aux placards couleur taupe, dont les murs sont garnis de diverses étagères en bois, ainsi que d’un tableau en ardoise qui sert à inscrire les mémos de tout le beau monde qui allait et venait anarchiquement dans cet appartement.

« Tu peux écrire le nom de ta chaîne ou l'adresse de ton site sur le tableau, si tu veux. Comme ça, ce sera en évidence et je n’oublierai pas. »


Il décoche un clin d’œil pétillant à Yoko et pose son plateau sur la petite table de la cuisine où repose une radio portative ainsi que trois ou quatre couples de CD empilés. Après quelques instants de réflexion, il opte pour Mazzy Star et son album bleu nuit, Among my Swan, qu’il glisse dans le lecteur. Une voix de sirène, lointaine, lunaire, comme nimbée de brume, ne tarde pas à venir ondoyer rêveusement au-dessus des déambulations paresseuses d’une guitare. Nathan lâche un soupir d’aise et s’appuie quelques secondes contre sa table pour se laisser bercer sur les vagues langoureuses du rock psychédélique.
La musique lisse peu à peu ses nerfs, comme une eau miraculeuse, et il finit par dodeliner imperceptiblement de la tête, pendant que son invitée achève d’écrire ses références sur le tableau d’ardoise. Quand elle se retourne fièrement vers lui, il plisse ses lèvres avec amusement et lève la tête pour trouver sur une étagère une petite collection de livres de cuisine.

« Ma chère, on va dire que c’est à mon tour de te donner les clefs de certains mystères… La Soul Food. Ah. » Il attrape un ouvrage d’un doigt habile et se dirige avec une nouvelle allégresse de l’autre bord de la cuisine. « Ma grand-mère, paix à son âme, en détenait tous les secrets. Elle les a consignés dans ce vieux cahier qu’elle m’a donné il y a longtemps. Ça n’a jamais vraiment intéressé mon frère ou mes cousins de toute façon. »

Accueillant Yoko d’un sourire, il allume les ampoules jaunes suspendues au-dessus du plan de travail et pose sur la paillasse un vieux cahier d’écolier dont la couverture noire, très sobre, affiche une grande étiquette en son centre où une main a tracé autrefois d’une grosse écriture bien appliquée les mots « Home Cooking ». Nathan les lisse tendrement du doigt et ouvre le cahier avec une grande délicatesse. Les pages qu’il feuillette, en tombant lentement les unes sur les autres, déroulent devant leurs yeux un florilège de recettes notées à l’encre noire. C’est l’ouvrage d’une vie qui défile et comme chaque fois, Nathan n’a pas le cœur de le compulser jusqu’au bout. Il arrête son regard ça et là, étreint d’une douce nostalgie, sur des pages consacrées aux gombos, aux ribs marinés, aux chitterlings, aux hushpuppies et aux tartes à la patate douce généreusement agrémentées de cannelle, de sucre et de beurre. Aucune illustration ne permet de mettre d’image sur ces mots qui doivent sembler bien mystérieux au regard d’une petite Allemande, si ce n’est quelques vieilles taches clairsemées qu’on avait laissées par mégarde.

« C’était une cuisine très riche, dit-il, finalement. A l’époque… enfin, dans les années soixante, quand Martin Luther King a commencé à faire bien du bruit, la vie n’était pas facile, surtout quand on habitait le Mississippi. »

Après avoir retrouvé la recette du Chicken and Waffles, il abandonne sans crainte ce cahier à la curiosité de Yoko et part rassembler et ranger méthodiquement ses ingrédients sur la paillasse, en beaux bataillons ordonnés, tout en poursuivant son léger bavardage :

« Ma grand-mère, Perle, elle travaillait là-bas comme bonne, elle élevait les bébés des femmes blanches. Heureusement, elle a quitté Memphis en rencontrant mon grand-père, son deuxième mari, qui avait un petit pécule, et ils sont remontés dans le Nord, à Camden. C’est tout près d’ici. Ils y ont trouvés du travail et fait leurs enfants. Et tout ce beau monde-là se maintenait en forme avec la Soul Food. Et l’ingrédient phare… c’est Crisco. »

Émergeant des profondeurs d’un placard, parmi les divers pots sagement entreposés là, il brandit victorieusement une énorme boîte bleue qu’il avait soigneusement cachée derrière des bouteilles dont personne ici n’avait souvent usage. Il l’ouvre en se rapprochant de Yoko et lui présente une substance immaculée semblable à du glaçage à gâteau. Puis trouvant une cuillère à soupe dans un tiroir, il la plonge dans la graisse végétale et en envoie deux bons blocs dans la large poêle à frire qu’il avait mise sur le feu.

« Dans le temps, ça servait vraiment à tout. Ma grand-mère considérait d’ailleurs que c’était la plus importante invention depuis la mayonnaise en pot. » Il lâche un de ses petits rires paisibles au son presque cristallin, et s’en va chercher une barquette de cuisses de poulet au frigo, tout en continuant de mimer son propos, de temps à autre, pour en rendre la compréhension plus facile à son invitée. Parfois, c’est tout à fait impossible, mais cela ne l’arrête pas vraiment dans son babillage. « Elle l’utilisait pour les portes qui grincent, les poches de fatigue sous les yeux, et surtout, surtout pour frire le poulet. Bon Dieu, c’est loin d’être bio et j’ai une colocataire qui serait folle de rage si elle me surprenait avec mais ça en vaut largement le coup. »

Quand la viande est déballée, il en plonge les morceaux dans un mélange de sauce piquante et d’œufs battus, préparé soigneusement dans un coin du plan de travail pendant qu’il papotait. Dans la poêle, la graisse fond en frémissant dans un petit fredonnement entêtant.

« Évidemment, aujourd’hui, la communauté afro cuisine hm, plus sainement… Mais le vendredi, j’aime bien rouvrir ce cahier. C’est un peu la récompense d’une grosse semaine de travail. »

Une fois les cuisses enrobées du mélange humide, il les plonge dans une préparation simple de farine, de fécule de maïs et d’assaisonnement à volaille au bouquet épicé qu’il a cueilli au-dessus de sa tête, sur une des étagères en bois garnies de plantes aromatiques en pot, de tasses colorées et de boîtes en fer blanc. Un à un, les quatre morceaux de viande désormais panés trouvent aisément le chemin de la poêle, portés par la tranquillité habile des gestes du cuisinier. La friture grésille autour du poulet et embaume la cuisine d’odeurs mêlées de cumin, de moutarde et de piment, sous le regard paisible de Nathan. Il se tourne un instant vers Yoko, remontant en même temps ses lunettes sur son nez d’un mouvement du poignet.

« Tu veux bien t’occuper des gaufres, s’il te plaît ? J’ai fait la préparation ce matin, c’est ce saladier, là. Il ne manque plus que la cuisson, tu trouveras le gaufrier dans le placard sous l’évier. » Il le lui indique d’un doigt un peu poisseux. « Si quelque chose te met dans l’embarras, fais moi signe. »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 19 Juin - 1:09

« Je crois, oui. »  Je sens mes joues qui se réchauffent, au niveau de mes pommettes, alors qu’une légère coloration doit s’empresser de les recouvrir. « Enfin. J’espère… »

C’est une jolie parole, que Nathan a pour moi. Pleine de douceur, d’espoir et d’un effort visible pour ne pas laisser ses propres idées noires jeter leurs ombres sur mon enthousiasme. Ça dessine un bout de sourire, au bord de mes lèvres, et je le laisse fleurir en quelque chose de plus confiant, alors que je me sors précautionneusement mes pieds dégelés de leur cocon d’eau chaude. Je hoche paisiblement la tête.

« Je croire, je ne trouve pas encore tout à fait… comment, mais je suis sûre que un jour… tout ça, ça faire partie dans ma vie, sans la faire bouger dans tous les sens… »

J’aimerai avoir une plus jolie réponse à lui donner, mais à mon niveau d’anglais, c’est à peu près le mieux que je puisse faire. Mais cela n’a que peu d’importance car Nathan est déjà en train de s’éclipser vers la cuisine, et je me dépêche d’essuyer mes pieds sur le bas de mon jogging, avant de lui emboîter le pas en sautillant. Cyrano le chat, lui, reste pour surveiller le salon.

La cuisine est baignée d’une atmosphère jaune et chaleureuse, qui rappelle agréablement l’aura de son propriétaire, et j’y fais quelques pas en valsant, pour essayer d’absorber toute la pièce en un seul regard. Tout semble paisible, et ordonné d’une façon un peu loufoque, mais précise, dans certains endroits. Je n’ai pas le temps de m’y perdre en observation, cependant, car déjà Nathan me confie une tâche capitale. Je souris avec mes yeux, et pour signaler que j’ai compris je fais un petit signe du majeur et de l’index au bord de ma tempe.

« Oui, c’est d’accord ! Je fais ça. »

Je ramasse du bout des doigts la petite craie, qui trône, en équilibre, sur le bord du tableau, et je pars aussitôt en quête d’un espace suffisamment dégagé pour me permettre d’y apposer ma touche personnelle. Il y a beaucoup d’écritures, sur ce tableau, et les mots qu’elles composent ne sont pas toujours en anglais, mais quelque chose d’absolument chaleureux s’en dégage. C’est toute une petite foule, une communauté, liée par quelques traces de craie sur un morceau d’ardoise. Comme une famille de fortune. Un morceau de chez soi, coincé au milieu de la liste des courses et d’un petit mot de remerciement avec des bisous en X à la fin.

Comme ça doit être agréable, de rassembler autant de monde sous son toit…

J’aime ma grand-mère du plus profond de mon cœur, et je ne quitterais la douceur de ses bras ouverts pour rien au monde, mais parfois je me prends à en avoir envie. Du fourmillement de la vie citadine. Des colocataires bruyants, vivants, qui laissent leurs traces partout et entraînent la vie dans leur sillage. Des gens qui me ressemblent, ou complètements différents de moi, avec qui rire et faire toutes les bêtises qu’il n’était plus de l’âge d’une vieille dame de faire…

Un petit sourire rêveur au bord des lèvres, et bercée par le duo d’une guitare paresseuse et d’une voix alanguie, je termine mes calligraphies, et couronne mon œuvre d’une tentative un peu plus artistique ; un portrait de Cyrano couronné d’un petit cœur.

« Hmm… »

Ça n’est pas le portrait le plus ressemblant de la terre, surtout qu’il est exécuté à la grosse craie blanche par une main encore un peu engourdie de froid, mais l’effort est honnête, et quand je me recule enfin, je suis assez fière du résultat. On reconnaît au moins un chat, dans mon gribouillis, et le cœur s’en tire assez bien, lui aussi, juste au-dessus de ses oreilles touffues. Je signe mon œuvre d’une paire de kanjis bien plus habiles.

https://www.youtube.com/user/YokoDoko
*Un Cyrano*
陽子

Le résultat s’accorde parfaitement avec le reste du patchwork de craie, et je peux reporter mon attention sur Nathan et ses explications passionnées.

Alors qu’il confie à mes mains le précieux ouvrage, dont il me décrit avec beaucoup d’émotion l’auteure et précédente propriétaire, j’enfouis mon nez entre les pages, dans un réflexe d’enfant dont je n’avais jamais vraiment su me débarrasser. L’odeur du vieux papier en a capturé d’autres, et les a tissés dans les pages si précieuses. Ma grand-mère a aussi ses cahiers de recettes, dont les pages ont pris l’odeur se sa crème pour les mains, et mon grand-père a ses manuscrits plein d’encre, de bagarres et de poussière, mais ici c’est une odeur encore très différente. C’est comme faire un voyage dans le temps, mais dans un temps que l’on n’a jamais connu. Le temps de quelqu’un d’autre.

Et c’est vraiment très joli.

Je finis par relever mon museau, pour feuilleter un peu parmi les recettes, dont les mots me sont un peu plus imperméables que les odeurs, mais le peu que je parviens à distinguer me met déjà l’eau à la bouche. Mon estomac ne gronde pas encore, là en bas, mais ça ne saurait probablement trop tarder.

« Ça a l’air vraiment. Très. Très bonne. »

Mes yeux se font happer par l’élégant manège des mains de Nathan, qui dansent, et virevoltent, dans un ballet culinaire tout à fait étourdissant. Ses gestes s’enroulent dans les notes langoureuses du morceau de musique, et c’est comme les pas d’une danse qu’il semble connaître sur le bout des doigts. Je le regarde faire, un long moment, me laissant aller moi aussi à bouger au gré de cette guitare, dessinant quelques accords dans les airs du bout des doigts.

Les mots de la chanson me sont plus obscurs, eux, mais ce n’est pas grave. Cela ne fait que renforcer la magie. Et cela ne m’empêche pas non plus de chantonner des petits morceaux de l’air, bouche fermée, ici et là, quand je parviens à en anticiper les notes.

« Hmmmmm… Hmm mmmhh… C’est… chouette ! La magie de la Soul ! »

Je fais un tour sur moi-même, un fantôme de rire au bord des lèvres, puis je m’élance, suivant ses indications, pour partir en quête du saint gaufrier. Le sournois s’était caché derrière la boîte en carton d’un batteur électrique, mais je le débusque rapidement, et malgré ses protestations – dans son extraction il a réussi à accrocher le câble du mixeur plongeur – je parviens enfin à l’arracher à son antre après quelques minutes de bataille. Enorgueillie de ma victoire, ainsi que de ma toute nouvelle fonction de préposée aux gaufres, je bombe le torse, serrant l’appareil contre mon ventre, et me dandine en rythme jusqu’à un morceau de comptoir dégagé. Puis, c’est au tour de la pâte, qui, elle, repose paresseusement dans son saladier, et ne fait aucune histoire alors que je la conduis à son échafaud.

Je cueille une louche, dans un pot en céramique, quelque part sur une étagère, puis je la brandis avec beaucoup d’emphase. Les hanches voguant toujours entre les notes, comme possédée par le besoin de danser, je branche l’appareil, espérant que ma petite chorégraphie d’encouragement le fera chauffer plus vite.

« Allez, allez, monsieur le gouffrier ! »

Le reste, heureusement, je connais un peu. J’ai appris, avec ma mamie, bien sûr, mais surtout mon père, bien que contrairement à elle lui n’a pas été le plus patient des professeurs. Après ça il y a eu l’école hôtelière. Bien évidemment, cela n’avait pas donné grand-chose, sur un plan purement professionnel, mais j’y avais appris beaucoup de choses. Je ne suis pas encore tout à fait experte dans les arts culinaires, et bien loin d’avoir la polyvalence de ma grand-mère, qui a su dompter la cuisine allemande en plus de la cuisine japonaise, pourtant j’ai de solides marques, sur ce terrain-là, et c’est un véritable soulagement.

Je mène encore quelques préparatifs, sous l’œil bienveillant de Nathan, graissant légèrement les plaques du gaufrier, et préparant un plat pour réceptionner le produit de mon labeur, puis je me mets en route. Concentrée très intensément, au début – j’en arrête même de me trémousser quelques minutes – puis avec de plus en plus d’aisance.

« Quand je suis petite mon père il a un gouffrier comme ça il fait des gaufres comme des animaux de l’Afrique. Un Lion, et une… euh. Gérafe. Girafe. Oui ! J’aimais beaucoup ça. Il a un restaurant. Mon père. Mais il fait pas de les gaufres dedans. Il fait la… cuisine des grandes. »

Je ne sais pas bien ce qui m’a rendu si bavarde, ou si encline à me replonger dans cette période de ma vie, mais l’atmosphère de la pièce me semble si confortablement bienveillante que je me prends même à ne pas m’en soucier. Quelque chose dans cette cuisine, ou cet appartement – ou son propriétaire – invite tout bonnement à la confession, et c’est très libérateur.

« Moi je devais je travaille avec lui. Mais j’ai pas réussi l’école pour ça. On est fâchés maintenant. Mais je sais quand même faire un peu très bien, tu vois ? Elles sont très bien dorées. »

Je lui présente ma pile avec au ventre une fierté de môme à qui on a collé une série d’étoiles sur son tableau d’honneur. L’air satisfait que je peux lire dans ses yeux est la plus douce des récompenses, et je m’en retourne à mon gaufrier, avec une petite pirouette enchantée. Autour de nous, la musique change encore une fois, et je reprends mes petites danses avec un enthousiasme renouvelé.

« Oh ! J’aime vraiment beaucoup celle-ci ! Il faudra après plus tard je note le titre. Peut-être je peux apprendre de la jouer. Avec mon Ukulele ! Ça serait… top ! »

Dans un petit bond très enthousiaste, je referme le couvercle de l’appareil sur ce qui sera probablement ma dernière gaufre. Il reste encore un peu de pâte dans le saladier, mais pas suffisamment pour remplir tout le moule de fonte qui orne l’intérieur du gaufrier. Du reste, mon attention se retrouve rapidement accaparée par une très chouette idée. Je me retourne pour essayer d’accrocher le regard de mon hôte.

« Hmm~ Toi aussi. J’ai vu. Tu fais la musique, non ? Il y a… le piano. Et la… euh. コントラバス ? Kontra…basu… Je ne sais pas dire. Mais… »  Je fronce délicatement les sourcils, ma louche serrée dans mes deux mains, creusant ma soupière pour réussir à mener cette idée là à bon port. « Après le manger, si tu veux. On peut faire. Ensemble ? La musique ? »

Je prend quelques secondes pour lever sur lui mes yeux brillants d’optimisme, quand une odeur de brûlé légèrement prononcée vient rappeler à ma mémoire la pauvre dernière gaufre que je suis en train de laisser carboniser à l’intérieur de son gaufrier.

« Oh noon ! »
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Nathan Weathers


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeSam 24 Juin - 15:25

La cuisine était devenue un doux refuge tissé d’odeurs de friture épicée, de couleurs chatoyantes et de mélodies insaisissables qui papillonnaient chaleureusement au creux de leurs ventres. Très affairé à balancer paisiblement des hanches sur les rythmes lancinants de Mazzy Star et à surveiller la cuisson de son poulet, Nathan avait réussi à s’enfuir à des années lumières des chimères glaçantes qui avaient tout à l’heure menacé d’engluer son humeur. Il s’était fait son cocon familier et le partageait sans questionnement avec Yoko, comme une couverture immense et tiède dont on s’enveloppe au coin du feu, quand les soirs d’hiver se font trop rigoureux.

Il accueille avec sérénité l’enthousiasme pétillant de la petite Allemande qui danse au milieu de la pièce à la façon dont flotte un nuage, portée par le zéphyr gazouillant de sa conversation. Il a encore recueilli chez lui une jeune personne bien intrigante, une sorte d’oisillon tombé du nid qui lui avait emboîté le pas avec une naïveté joyeuse et confiante. C’est assez déconcertant, parce que plus il y réfléchit, et moins il se sent capable de lui donner un âge. Plus que d’un nid, elle semble tombée de cette étoile où les petites filles ne grandissent jamais, en vérité, quoi que certaines fois, il arrive à ses paroles de lever le charme enfantin qui voile son existence, et la féérie lui semble un peu plus humaine ou plus réelle. Il y avait dans sa légèreté, tout à l’heure, quelque chose d’un Peter Pan inconscient que soi et autrui sont des êtres singuliers et que les pensées et souhaits de son entourage sont distincts et différents des siens. L’étonnement qu’elle avait manifesté en s’expliquant tandis qu’ils prenaient le thé, une bonne demi-heure plus tôt, avait d’ailleurs exprimé l’étendue étrange de cette innocence dont elle paraissait gorgée jusqu’à la moelle.
C’était peut-être cela, l’effet de la solitude sur un esprit marginal. Elle était encore trop subtilement discrète sur son existence quotidienne – en dehors de sa passion évidente pour le paranormal, du moins – pour que Nathan sache en tirer la moindre conclusion. Le personnage de Yoko lui échappait un peu, avec ses façons de discuter aussi bien avec lui qu’avec son chat ou ses appareils d’électro-ménager. Mais il le prenait avec une certaine tranquillité, à présent.

Inspiré tant par cette curiosité qui lui pique à chaque instant l’imagination que par un original sentiment de tendresse, il prête oreille à l’histoire de ses déconvenues avec son père et hoche doucement la tête à ses paroles, avant de lever le nez pour contempler son œuvre en souriant du regard. L’assiette de gaufres se remplit avec entrain et l’odeur délicieuse qui s’en échappe s’emmêle dans un avant-goût appétissant à celles du poulet.

« Hm, la contrebasse… ? »

Il croise son regard de petite puce surexcitée, alors qu’elle passe du coq à l’âne avec la maladresse des tous petits qui apprennent à marcher, et esquisse une moue en essayant de comprendre où elle veut en venir. Rencontrant toutefois un air de confirmation sur son visage, il sent à son tour monter dans sa poitrine une très agréable bouffée d’enthousiasme. Il y a bien longtemps – trop longtemps – qu’il n’avait pas fait de musique avec qui que ce soit, peut-être même depuis que Tamara était partie. Il avait bien tenté d’apprendre quelques accords de guitare à Andrea, mais ça n’avait pas donné grand-chose. Le pauvre garçon n’a aucune oreille.
Et pourtant, si Nathan appréciait pouvoir trouver quelques heures perdues çà et là pour renouer seul avec ses instruments, le vrai plaisir qu’il prenait en faisant de la musique, c’était celui de composer en harmonie avec un groupe – un duo, au minimum – et cette activité en particulier lui manquait chaque jour plus que de raison. Un espoir vif s’est allumé dans ses yeux, mais la figure enjouée de Yoko s’alarme soudain et il réalise que les fumets de la cuisine se sont soudain confondus avec des notes moins alléchantes.

La jeune femme se charge de porter secours à la malheureuse gaufre que le moule a carbonisée à point, et Nathan ne peut s’empêcher de glousser devant son air déconfit et la texture noirâtre qu’elle découvre entre les deux plaques métalliques.

« Pff. » Ses traits se plissent encore d’un petit rire amusé, tandis qu’il réserve ses cuisses de poulet dans une assiette, puis il exécute un geste léger pour marquer son indifférence et dessine un sourire compatissant entre ses deux fossettes. « Ben, ce n’est pas grave, va. Et pour le reste, je crois bien que de mémoire d’homme, jamais gaufres plus moelleuses ne sont sorties de cet appareil, donc sans rancune. On en a bien assez pour nourrir un régiment, de toute façon. …alors maintenant… la touche finale ! »

Il s’élance dans un petit entrechat vers l’évier où il se lave méticuleusement les mains, puis s’en va chercher dans son frigo une poche à douille remplie d’une substance rose pâle – du beurre de fraise – ainsi que du sirop d’érable dans un placard. Il dispose alors deux assiettes sur la table de la cuisine, puis une gaufre ronde et dorée comme un petit soleil dans chacune.

« C’est une « jam », qu’on dit. Quand plusieurs musiciens se rassemblent pour une improvisation, récite-t-il, en posant une cuisse de poulet croustillante et bien charnue sur leurs confortables petits coussins. Et ohh, oui, oui, ça me plairait beaucoup ! » Un sourire plus large et plus lumineux que jamais vient s’épanouir sur son visage, pendant qu’il tourne un instant la tête vers Yoko. « Et puis je pourrais t’apprendre « I’ve been let down » sans problème, les riffs sont faciles à reproduire. »

Fredonnant du bout des lèvres, il achève ses deux compositions avec un généreux filet de sirop d’érable et une fleur de beurre de fraise, en pressant sa poche à douille avec dextérité. Il admire alors leur travail commun avec une fierté qui lui gonfle secrètement la poitrine puis il échange un autre regard avec sa partenaire et ses doigts dessinent en l’air le symbole universel du cuisinier satisfait.
Enfin, dans un parfait sentiment de quiétude – comme dans le brouillard confortable d’un rêve – il débarrasse leur plateau de thé, sort des verres, couverts et serviettes d’un tiroir et d’un placard et met la table avec la rapidité de l’habitude, tout en reprenant cette conversation qui va si bon train entre eux.

« Quand j’étais plus jeune, je voulais être musicien. Mais ce n’était pas assez sérieux aux yeux de mes parents. Ils voulaient que je suive leurs pas et que je devienne médecin. Et pour moi non plus, ça n’a pas très bien marché, alors on s’est brouillés un bon moment. Mais maintenant… ça s’est arrangé. » Les mauvais souvenirs glissent sur lui comme des bulles de savon, l’effleurent, mais ne l’atteignent pas. Il sourit avec bonne humeur et pose un pichet d’eau fraîche en bonne place, au milieu de la table. « En fait, ça marche même du tonnerre pour moi. Comme quoi… sans doute qu’on ne réussit jamais mieux que quand on finit par trouver sa propre voie… ! »

Il glisse à Yoko un clin d’œil d’un air de finesse et de connivence. Bientôt, ils s’installent ensemble autour de la petite table ronde et c’est l’heure de s’attaquer au dîner en se souhaitant bon appétit dans un bel unisson. En jouant de la fourchette et du couteau, Nathan s’offre une bouchée de poulet et de gaufre tartinés de beurre de fraise et laisse échapper un soupir de profond soulagement. La peau croustille divinement sous ses dents et il savoure tranquillement la sensation de son ventre qui se remplit dans un gargouillement contenté. Certains soirs, il lui semblait que son repas du midi remontait à une éternité. Quelques minutes passent, ou chacun est trop absorbé par son face à face avec ce festin exubérant à l’Américaine pour relever autre chose que la douceur savamment épicée de leurs bouchées de gloutons. Et finalement, après un verre d’eau qui lui éclaircit le gosier, Nathan s’essuie la bouche et retrouve la joie de son bavardage, par-dessus les ondulations sous-marines du dernier titre du CD qui tourne paresseusement vers sa fin.

« J’ai quand même été contrebassiste dans un groupe expérimental. On a commencé avec du hip hop alternatif, et puis petit à petit on a été s’amuser avec la musique psychédélique – surtout avec le strass et paillettes du glam rock – en reprenant quelques codes musicaux du rockabilly ou du jazz. J’avoue que j’y suis pour beaucoup, j’étais très attaché à ma contrebasse… ! » Un autre rire, fugace, fait légèrement vibrer sa gorge jusqu’à se transformer subtilement en soupir, tandis qu’il s’accoude près de son assiette, les traits éclairés par la lueur douce de la nostalgie. « J’en avais même acheté une électrique. Enfin, ça m’arrivait de faire simplement de la basse, de la guitare ou du piano. Je chantais et je rappais beaucoup, aussi. »

Et puis il hausse des épaules alors qu’à point nommé, la radio fond dans le silence et le CD achève sa ronde dans un ultime bourdonnement. Nathan s’essuie les mains dans sa serviette et parcourt du bout des doigts sa petite pile d’albums en quête d’un digne successeur. Il opte rapidement pour une couverture à l’acidité étrangement édulcorée et glisse le disque d’une étoile montante du RnB à la place de Mazzy Star.

« Malheureusement, j’ai dû faire un choix, en ouvrant mon cabinet. C’est un peu triste pour moi, mais bon. Je crois que les gens ont plus besoin de moi pour les défendre contre des injustices au tribunal que sur une scène à chanter de jolies chansons. »

Il se retourne vers son assiette et vers Yoko, par la même occasion, à qui il destine une mine résignée, mais pas malheureuse, tout en s’avachissant tranquillement dans le dossier de sa chaise, entraîné par le délassement langoureux de la voix d’Abra.

Dans un monde idéal, il n’aurait peut-être eu qu’à se soucier de scène et de musique, de costumes à paillettes, de fêtes et de spectacles. Mais le monde réel est rude et hostile et il n’aurait pas supporté de vivre en le laissant tourner comme un carrousel sinistre dans de vieux rails bancals. Il faisait partie de ce monde-là, il ressentait chaque secousse vulgaire de ce manège et chacune d’elle était un piège à loup qui lui mordait le cœur en se refermant sur sa poitrine. Il aurait été impossible de ne pas faire quelque chose.

Plongé dans ses réflexions, il pique un nouveau morceau de gaufre enrobé de sirop d’érable et le mâchonne songeusement. Cyrano est pendant ce temps venu arpenter la cuisine, froissant son museau dans les airs, probablement appâté par l'odeur suave de la nourriture. Mené par la force de l'habitude, il vient frotter son énorme corps pelucheux aux jambes de son maître qui commence à égrener quelques morceaux de poulet sur le carrelage, que le chat engouffre avidement.

« Du coup, bon. » Il plisse des lèvres, les yeux luisants dans le vide comme deux flammes obscures, et il se secoue soudain comme s’il se réveillait d’une légère torpeur. « Hm. Je parle de moi sans arrêt mais je voulais quand même en venir quelque part, haha… » Son regard amusé retrouve la petite frimousse réjouie de son invitée, et il remet le doigt sur ce qui l’avait interpellé dans ses pépiements de tout à l’heure. « Mh… Voilà. » Il hoche la tête avec assurance. « Comme pour mes parents au fond, je crois que c’est tant pis pour ton père. Ce n’est pas à lui de définir ce que tu es ou ce que tu veux et il ne pourra pas bouder éternellement une fille aussi aimable que toi. » Il lui sourit avec beaucoup d'honnêteté. « Il doit bien connaître ce que c’est, la vie, et avoir vu que ce n’est pas une ligne droite, que c’est fait d’un tas de choix, de volte-face et de détours… Et c’est à toi de mener la barque, parce qu’il n’y a que toi pour découvrir ce qui te tient à cœur et te rendra heureuse, après tout. Lui n’en sait rien. Ce n’est à la portée de personne d’autre que de toi-même. »


Dernière édition par Nathan Weathers le Mer 12 Juil - 15:50, édité 3 fois
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Yoko Ogawa


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeSam 1 Juil - 1:41

Les minutes passent, dans cette cuisine remplie d’odeurs délicieuses, et de lumières chaudes, et chacune d’elle ne fait que confirmer un peu plus mon intuition première : écouter Nathan parler a quelque chose de profondément reposant.

Quelque fois il y’a un mot où l’autre qui me saute par-dessus comme un petit poisson, et qui me fait trébucher dans ma compréhension de son récit, mais Nathan parle lentement pour moi, et jamais je ne perds complètement le fil de ce qui est dit. Je suis au bord de la mer, en l’écoutant. Une mer calme, caressant une plage protégée de la houle par les coraux. Son récit fait de petites vagues qui me lèchent les chevilles, tout en douceur, et si de temps en temps une goutte rebondit plus haut que les autres, à aucun moment je n’ai peur de voir une septième vague surgir brusquement et me renverser dans le sable. Alors j’écoute, du mieux que je le peux, et ça suffit. Tout simplement.

C’est donc la tête bercée par son récit peuplé de musique, de rêves et d’ambitions, et le ventre séduit par les saveurs incroyable du repas, que je laisse le temps filer entre nous deux, très contente de pouvoir me laisser flotter là un moment. Mes pieds nus encore un peu engourdis, se balancent sous la table, effleurant de temps à autre la queue de Cyrano, venu nous rejoindre dans notre dégustation.  Le contenu de mon assiette, lui, disparaît à une vitesse si impressionnante qu’on pourrait me soupçonner de participer moi aussi à l’engraissement du précieux félin.

Mais il n’en est rien.

Les estomacs se remplissent, et la conversation chemine avec une régulière – et rassurante – tranquillité. Nathan la conduit, un sourire tout aussi paisible au bord des lèvres, dans un méandre habile, qui la fait revenir dans ma direction. Son récit éparpillé – quoique pas autant que le mien pouvait l’être, parfois – se transforme alors en un conseil éclairé, d’une douceur et d’une justesse tout à fait troublante. Bien qu’une toute petite partie de moi ne puisse s’empêcher de trouver que tout de même, entre son histoire et la mienne, il y avait un sévère décalage d’échelle, et que de là où je me trouvais, ses motivations et ses rêves à lui avaient l’air tellement plus brillants et inspirés que les miens, et plus inspirés, aussi, je n’en fait rien. Je me contente de rougir, progressivement, et peut-être même proportionnellement à la douceur de ses paroles.

Pendant un temps, je ne sais pas quoi en faire, et je dois prendre mon temps, reposant ma fourchette sur le bord de mon assiette, et tortillant mes doigts autour des plis de ma serviette.

« Le truc c’est… Moi que je ne sais pas bien. Non plus. Qu’est-ce que je veux faire. Avec ma… ma barque. » Je rougis légèrement, le nez dans mon assiette, tout en mâchonnant pensivement mon morceau de gaufre, pour me laisser le temps de réfléchir, tout autant au contenu qu’à la syntaxe de ma réponse. Je n’ai jamais été très à l’aise, quand il s’agit de parler de ces choses-là, alors dans une autre langue… « La cuisine. C’était facile, je faisais comme on m’a dit. J’aimais bien aussi, en fait. Mais… Il y a des choses. Les études c’est compliqué pour moi. Je n’apprends pas très bien, même si je travaille encore et encore. Et… Autre chose. Que je ne peux pas contrôler. Comme… »

Relevant les yeux dans sa direction, incertaine de savoir ni quel mot mettre sur ce qu’il m’arrivait à cette époque – et encore à l’heure actuelle, d’ailleurs – ni si je suis vraiment tout à fait prête à en parler avec lui. Finalement, à défaut de me décider, sur l’un ou sur l’autre, j’opte pour un vague compromis gestuel, et je reproduis de la main droite le signe que j’avais associé, dans nos conversations précédentes, aux « choses de la magie ». Ma figure grimace un peu, signalant mon inconfort, et je m’empresse de reprendre pour qu’il n’ait pas le temps de glisser là une question sur le sujet.

« Ça c’était. Ça rend les choses plus compliquées encore, oui ? Moi j’ai… J’en avais marre. Que tout aille dans le mur. Encore. Alors j’ai arrêté l’école. Maintenant je vis dans la maison avec ma grand-mère. Et. Je fais des choses. Comme des vidéos, ou des… hm. Des écritures ? Comme des poésies ? Et de la musique aussi. Ça me rend heureuse. Mais c’est pas trop du vrai travail. Je ne sais pas. »

Une petite crispation me noue les épaules. Je n’aime pas beaucoup utiliser ces mots là, mais je manque cruellement d’un vocabulaire plus élaboré pour nuancer mon propos comme j’aimerai le faire. Bien sûr que la notion de travail était vaste, et que les métiers artistiques avaient tout autant de valeur que les autres. Mais dans mon petit patchwork de compétences tout aussi hétéroclites qu’inégalement maîtrisées, j’avais encore beaucoup de mal à me considérer comme une artiste.

Surtout quand je me comparais… aux autres artistes de la famille.

« Ma mère, elle faisait de la musique pour son travail. Mais elle était très très… vraiment douée. Mon papi aussi il écrivait et c’était ça son travail et il était vraiment très fort. Et… Hm. En vrai, je suis juste douée un peu, pour plein de choses. Alors ça n’a pas l’air… » Je grimace délicatement autour de ma fourchette. « Sérieux… »

La tournure que j’ai involontairement fait prendre à la conversation est plutôt pénible, pleine d’embûches et de petits cailloux qui aimeraient bien me faire tomber dans des humeurs plus moroses, et plus je parle, plus j’ai l’impression de devoir me contorsionner pour revenir à quelque chose de plus joyeux. L’exercice est difficile, même pour mon optimisme et ma légèreté légendaires, surtout alors que quelques souvenirs de ma mère remontent me chatouiller le cœur, du fond de ma poitrine. Peut-être que cela se lit dans les légers plissements de mon visage. Mon front se froisse, et maintenant que mon assiette est presque vide, je m’applique attentivement à ratisser des petits sillons, de la pointe de ma fourchette, dans le beurre de fraise qui reste sur le bord. Mais alors que mes yeux se mettent à briller légèrement, je réussis à faire revenir un petit sourire au bord de mes lèvres.

Parce qu’après tout, au milieu des mécontents, des lointains et des disparus, il restait un membre de cette famille éparpillée qui avait toujours su être là pour moi lorsque j’avais eu besoin qu’elle le soit. Mes pensées s’envolent vers le visage de cette vieille femme, patiente, tendre et pleine d’un amour inconditionnel pour cette petite fille indécise et encombrante, et aussitôt mon cœur se réchauffe. Bien sûr, elle ne me voyait pas complètement, et l’influence de mon pouvoir la protégeait peut-être de la véritable précarité de ma situation, mais magie ou pas, elle croyait en moi. Du fond de son cœur. Et il n’y avait pas de chose plus rassurante au monde que cette foi-là.

Reposant ma fourchette dans mon assiette vide, je remonte mes yeux pour venir chercher ceux de Nathan, un sourire timide mais de plus en plus solide dessiné sur mes lèvres.

« Ma grand-mère elle est là pour moi. Et pour m’aider avec l’argent, et moi je l’aide avec la maison. Et je peux essayer de trouver exactement comment faire mes choses et que ça… ça marche.  Alors déjà ça… ça c’est bien, je crois. J’ai de la chance… Aussi je ne sais pas qu’avec je peux sauver le monde. Mais. Si je peux faire que quelques personnes elles sont heureuse avec mes petits trucs alors. Peut-être que c’est bien. J’aimerai ça je crois. »

La bonne humeur est revenue, et déjà c’est comme si les pensées plus sombres s’étaient envolées de mes épaules, chassés par le petit sourire bienveillant de ma grand-mère, et par le regard de Nathan, toute son honnêteté, et sa compréhension. Lui aussi arrive au terme de son repas, et il a laissé Cyrano lui sauter sur les genoux – ça ou le caractériel félin ne lui a pas laissé le choix – pour qu’il lèche quelques gouttes de sauces tombées à côté de l’assiette. Je me laisse retomber dans le dossier de la chaise, posant mes deux mains sur mon ventre, que le riche et succulent dîner a laissé tout aussi comblé que rebondi, sous mes vêtements d’emprunt, et un soupir contenté s’échappe d’entre mes lèvres.

« En tout cas, c’était vraiment très délicieux. La recette.  Et la cuisine… » Je secoue doucement ma tête, à droite et à gauche, avant de venir gratifier d’un coup d’œil malin mon hôte, et son félin compagnon de table. Une idée vient de germer dans mon esprit, et je souris de toutes mes dents cette fois. « Alors tu sais ce qu’il faudrait ? Une… bière. Pour faire. Kampai ! Comment tu dis… Un… un toast ! Aux grands-mères. Et à leur cœur grand et doux. Et ça nous mettra de l’humeur bonne pour la Jam ! »
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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeJeu 13 Juil - 2:59

Les rougissements modestes, embarrassés ou émus de Yoko sont d’une délicatesse attendrissante, et Nathan l’observe avec affection derrière ses couverts batailleurs. Il est difficile de dire si la petite Allemande a l’habitude d’être sans réserve sur ce qui fait son existence, ou si c’est le besoin urgent de se confier et la présence salutaire d’une bonne oreille qui inspirent ses épanchements, mais elle laisse sa voix aller, pendant plusieurs minutes, guidée par une sincérité troublée et troublante. Ses doutes peignent un clair-obscur fluctuant sur son visage.
Nathan l’écoute et l’observe, suivant silencieusement les va-et-vient de ses scrupuleuses introspections et fermant les yeux respectueusement sur les tabous qui, par moment, froissaient la voix de la jeune femme. S’il ne se sentait pas lui-même très disposé à réfléchir aux circonstances absurdes de leur rencontre, elle n’est pas non plus inspirée pour le récit sans doute douloureux de ses déboires paranormaux. Aussi, il n’aurait par l’inconvenance de l’interroger à ce sujet, même en une occasion où sa curiosité naturelle n’aurait pas lâchement fui pareille confrontation. Ils avaient trouvé ensemble le chemin d’une conversation normale et il n’était pas question qu’il quitte cette route sûre et agréable pour l’inconnu terrifiant de toute cette jungle surnaturelle. Il y a assez d’intrigue dans la personnalité douce et pétillante de Yoko pour avoir besoin de mener ce soir des enquêtes métaphysiques.

Alors Nathan se contente avec beaucoup de plaisir d’écouter ses confidences, tout en mariant dans sa bouche la friture épicée de son poulet au beurre de fraise et en se léchant les doigts sans un bruit. Il se sentait toujours flatté, mais surtout très honoré que les gens viennent à lui sans ombrage et le laissent tendre l’oreille à leurs états d’âmes, à leurs secrets ou à leurs rêveries. Il les aimait beaucoup, et il appréciait plus encore les bouches qui les prononçaient. Ceux de Yoko venaient maladroitement, carillonnaient aimablement à la porte de son empathie et alors qu’il leur ouvrait, leur clarté et leur chaleur lui touchaient l’âme comme s’il avait fait entrer chez lui le rayonnement du jour.
Peu à peu, la silhouette subtile de la jeune femme commence à se profiler pour lui, dessinée de traits mélancoliques et mal-assurés, dont les essais, cependant, jettent sur sa personne de beaux éclats d’optimisme. Yoko semblait une petite jeune femme vulnérable mais vaillante, qui n’attendait sans doute que de se gorger de l’affection et du compliment des autres pour assurer ses pas. Cela ravive en Nathan un irrépressible élan de protection qui le pousserait bien à protester à certains des reproches, assez durs, dont son invitée s’afflige régulièrement, ou à lui ouvrir gentiment ses bras pour l’entourer de toute sa force, sa prévenance et son amitié. Mais pour le moment, il se contente de plisser des lèvres avec regret et de finir son assiette avec l’aide de Cyrano, à ses pieds, qui bat la queue en attendant d’avoir sa part de friture.
Il note plusieurs choses, à la fin : la façon dont elle parle de sa mère et de son grand-père au passé, le bruissement craintif de sa voix et les frissons discrets de son visage à leur évocation.
Sans doute avaient-ils disparu. Et Yoko, elle, et ses paisibles aspirations artistiques, semblait vivre dans l’ombre de leur souvenir. Cette note endeuillée assombrit même les pensées de Nathan, et il songe à combien il est difficile d’apprendre à connaître les gens sans devoir frôler à l’aveugle leurs points sensibles et risquer de les blesser. Ses poumons se gonflent en cachette d’un léger soupir et il lisse le bord de son verre, du bout des doigts, avant de prendre une gorgée d’eau.

Et néanmoins, le sourire revient à son artiste rêveuse, tirant sur ses lèvres un petit arc d’une finesse incomplète, comme une énigme, et c’est aussi un soulagement pour son hôte qui lui répond d’un regard miroitant de curiosité et d’affection. Le voile se lève bientôt et elle se met à se livrer tendrement au sujet de son aimable grand-mère.

Pendant ce temps, Cyrano, quant à lui, réclame jalousement l’attention de son maître en tricotant dans son jean de ses griffes exigeantes. Distrait un petit instant, Nathan adresse une moue courroucée au gros chat dont les yeux bleus l’étrillent avec plus d’autorité qu’un concert de miaulements en saurait exprimer. Soupirant tout de même avec amusement, il capitule pour revenir rapidement se concentrer sur les confidences de Yoko. Il tire silencieusement sa chaise et laisse l’énorme matou bondir sur ses genoux en ronronnant. Sa crise de tout à l’heure lui est apparemment passée et il semble prêt à entamer les démarches de réconciliation en bonne et due forme. Il s’installe, aussi confortablement que possible, mais il est si grand que ses pattes grises et crème doivent comme d’habitude pendre d’un côté des genoux de Nathan et sa lourde queue touffue chatouille son mollet dans un lent mouvement de balancier. Le garçon, paisiblement, caresse le museau cendré du chat et le pelage blanc de son échine tandis que celui-ci finit par fermer les yeux, ses petits poumons gonflés d’une intense satisfaction.

Yoko, en tout cas, semble arriver au bout de son récit et se satisfaire de son heureuse conclusion, autant que Nathan lui-même qui se rassure de voir que la soirée n’a pas repris un tournant morose. Elle semble également rassasiée, ce qui le conforte sereinement sur l’accomplissement de son devoir d’hospitalité, et l’idée qu’elle fait à nouveau fuser dans la cuisine crépite comme un feu de Bengale. En fait, elle est même tout particulièrement inspirante.

« Bon, eh bien ! Alors c’est parti ! » Le jeune homme frappe ses mains l’une contre l’autre, le regard radieux et la mine impatiente. Le chat, dérangé par l’agitation, échappe mollement à ses caresses et s’en va pavaner vers sa gamelle, dans un coin de la cuisine. « Je dois avoir quelques bouteilles au frigo… »

Il se relève hardiment, le cœur rayonnant d’une joie inattendue qui fait un petit tapage dans sa poitrine. Devant le réfrigérateur, il s’accroupit pour chercher dans le fond d’un tiroir deux petites bières aux saveurs très douces – des lambics à la pêche qu’il partageait avec Andrea et des invités de passage parfois, en rentrant d’une soirée arrosée pour un after… où l’alcool n’avait plus d’autre ambition que d’être sucré et de donner du charme à leur nuit d’insomnie.
Cueillant les deux bouteilles fraîches entre ses doigts, il revient à Yoko dans un léger entrechat destiné à refermer le frigo, du bout de son pied. Dans un tiroir, il déniche un décapsuleur et s’affaire à ouvrir leurs bières en lançant la jeune femme l’un de ses longs regards songeurs.

« Tu sais ? Tu ne devrais peut-être pas être si sévère avec toi-même. Il n’y a pas de petit souhait ni de moindres actions, quand ça engage le bonheur des autres. On ne les compte pas, les personnes qu’on rend heureuses. On en rend heureuses du mieux qu’on peut, et voilà tout. C’est tout à fait sérieux, comme projet ! »

Une première capsule saute et il tend la bouteille à sa petite bohème aux cheveux noirs, assise bien repue à sa table. Il lui sourit avec assurance, le visage enjoué, et secoue la tête en faisant briller ses yeux espiègles.

« Enfin, « sérieux » … C’est un mot bon pour les gens sinistres comme... les banquiers, les commerciaux ou… les comptables. Les artistes n’ont pas besoin d’avoir un air grave sur la figure pour faire des choses importantes. Pas vrai ? En tout cas… moi, je ne crois pas au sérieux. » La deuxième capsule saute et il lève la bouteille à hauteur de son regard avec satisfaction, un air éthéré flottant sur ses traits de grand enfant. « Je crois seulement à la passion… et au bonheur. »

Il se retourne vers Yoko, relevant un menton vaillant à cette déclaration, fier comme un pou, avant de venir appuyer ses fesses contre la paillasse. Là, il serre ses doigts autour de sa bouteille et prend un petit air pensif, afin d’aligner comme il le souhaiterait les idées qui lui sont venues pendant qu’elle parlait si tristement de ses propres talents.

« Et laisse-moi te dire que je la trouve très prometteuse, ton idée. » Il lui lance le regard le plus assuré qui soit et poursuit d’un ton plein de chaleur et de connivence. « Si je peux me permettre… Le secret, c’est de l’aimer de toutes tes forces. De lui donner ton temps et ta confiance, pour la faire éclore et grandir. Et ça, ça ne se fait pas en un jour ! Pour personne au monde. » Et il a sûrement fallu être patients à ta mère et à ton grand-père pour devenir si dignes de ton respect, chère Yoko… Il soupire délicatement, observant longuement le visage frêle et innocent de la jeune femme. « Tu verras… Tu es quelqu’un de bien. En y mettant ton cœur, tu feras forcément de très belles choses. »

Gonflant ses poumons d’assez d’espoir pour deux, Nathan se décolle finalement de sa paillasse et fait quelques pas dans sa cuisine encore chatoyante des odeurs de leur dîner. Il lève sa bouteille vers son invitée et lui sourit de toutes ses dents, annonçant avec énergie :

« Alors on va porter un toast, non seulement en l'honneur des grands-mères, mais aussi au tien et pour te souhaiter bonne fortune… ! Kampai ! »

Un éclat de rire joyeux bondit soudain de sa gorge, entre ses dents blanches, et il le laisse franchement vibrer entre eux, comme un chant d’oiseau vif et insouciant. Quand il s’éteint tout doucement dans sa voix, il porte le goulot de sa bouteille à ses lèvres et avale une très profonde et pétillante gorgée de bière. C’était bon de rire. Il avait le cœur qui palpitait et la poitrine animée d’un enthousiasme aérien. La saveur de la boisson ajoute encore un peu de fête, contre son palais, et il réfléchit avec ravissement à la suite des événements, avant de lancer d’une voix plus badine :

« Mhhh… Tu connais les accords de « Let it snow » ? Ça pourrait être marrant… Et c’est de circonstance, il me semble.»
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Yoko Ogawa


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeMar 25 Juil - 18:30

« Kampaii ! »

Je lève ma canette bien haut, la poitrine emplie de bien-être, et les épaules revigorées d’un enthousiasme à toute épreuve. Ma voix vient résonner dans un écho pétillant à celle de Nathan, entre les murs de sa cuisine, et il y a dans ce toast tellement d’espoir, d’optimisme et de bienveillance, que j’ai l’impression que cela pourrait suffire à me gorger de bons sentiments pour l’année entière. C’est nouvel an en avance, et avec lui toutes les promesses brillantes jetées avec défi à la face du monde. Le sentiment indestructible que cette année, cette fois, tout se passera bien, et que nous serons prêts à affronter tout ce que l’univers voudra bien jeter sur notre chemin. C’est ce qui luit dans mes yeux, à cet instant précis, et ce qui réchauffe ma poitrine alors que j’y fais descendre une première gorgée de bière.

Le goût est sucré et doux, l’amertume du houblon balayée par des arômes de pêche et de petites bulles, qui viennent chatouiller ma langue et mon estomac. Je pouffe, serrant ma bière contre moi, et secoue ma tête avec un petit air de chien surpris. J’aime beaucoup, mais je ne m’y attendais pas, et peut-être que cela se voit un peu sur mon visage.
Pourtant, la surprise n’entame en rien mon élan enthousiaste, et je me jette sur mes deux pieds, faisant faire un petit bon à Cyrano, qui bat en retraite sous la table, pour y chercher quelques miettes. Les yeux comme deux petits feux d’artifice, je hoche vaillamment la tête, et je fais un petit tour sur moi-même au milieu de sa cuisine.

« Oh oui ! C’est… parfait. »

Je voudrais bien battre des mains pour applaudir son choix, mais j’ai encore ma bouteille de bière dans les mains, alors je me contente de sourire de toutes mes dents. Mes petits pieds nus piaffent sur le carrelage, tout aussi pleins d’impatience que leur propriétaire, et Monsieur Patapouf Cyrano premier du nom en profite pour monter sur la chaise que je viens de libérer. Il me contemple, un long moment, de ses yeux plissés, comme pour mieux juger les tréfonds de mon âme, puis il perd tout intérêt et semble décider que les traces de beurre et le jus du poulet, sur le bord de mon assiette, sont bien plus dignes de son attention que moi. Il pose ses deux pattes sur la table pour s’en faire un festin.
Je ne m’en offusque pas, et reporte mon attention sur le visage satisfait de Nathan, qui reprend, lui, une gorgée de sa bière. Je fais un pas vers lui.

« Tu m’apprendre les paroles, comme ça. Parce que je connais que avec du… Comment. Le yahourt ? Viens ! »

J’attends qu’il ait fini de boire, avant de lui tendre ma petite main pour qu’il vienne y tendre la sienne. J’espère qu’il ne s’attendait pas à terminer tranquillement ce petit apéro improvisé de fin de repas – et de début de soirée – avant que nous migrions vers son salon pour y jouer de la musique, parce que maintenant que l’offre et lancée, et avec toute l’énergie positive que ses paroles ont soufflé dans mes voiles, c’est inenvisageable que je reste assise là à discuter de musique au lieu de la faire. Il se lève, acceptant de se laisser guider à travers son propre appartement par la drôle de petite japonaise qu’il y avait lui-même accueilli, et emboîte mon pas sautillant su sien, plus posé, mais tout aussi enthousiaste.

Pendant la petite route qui sépare la table de la cuisine du canapé du salon – pas très longue, mais tout de même, c’était là un appartement de taille très respectable, et on était loin d’y dîner un coude dans la baignoire, et l’autre dans le divan – je me met à chantonner, la voix toute emmitouflée d’un mélange d’accent très fort, et de yahourt tout à fait assumé.

« Oooh zeweva outsaii’d izfraifouuu... »  Je lâche la main de Nathan, alors qu’on arrive tout deux au niveau de son canapé, et je m’y jette avec un petit gloussement pour attraper mon Ukulele. « mmh-hm hmmm mh-mhhh delightfuuul... »

Mes doigts retrouvent sans peine le chemin des cordes, tandis que mes pieds s’enfouissent en dessous de moi, bien au chaud entre mes fesses et les coussins du canapé, pour échapper à l’engourdissement qui les guette à nouveau. Je fronce les sourcils, poursuivant le premier couplet de la chanson dans un petit concert de « mh-mh-mh », tout en cherchant à identifier les bons accords. Je l’avais apprise, l’année dernière, pour la chanter lors d’une scène ouverte, à la période de noël, dans le petit café/salon de thé de Spreenhagen. J’avais rencontré un franc succès parmi les petites mamies et leurs petits enfants ennuyés de se retrouver à la campagne pour les fêtes. Mais c’était surtout parce qu’à l’époque, Dorothy, la petite fille de Mme Meiers était venu chanter avec moi. Elle avait une voix tellement belle, Dorothy, qu’elle aurait fait fondre le cœur de n’importe qui.

Mais je m’égare. J’ai des accords à retrouver, moi. Voyons…

C, G7… C encore. Puis Adim… G7 à nouveau…

Tout ça est encore là, quelque part, il faut juste que mes doigts, eux, se souviennent. Ils se sont toujours souvenu des choses bien mieux que moi, de toute façon. Mon cerveau, il est dans mes bras, et dans mes jambes, et dans chacun des muscles de mes mains. Je suis comme les pieuvres. C’est grand-père qui m’avait dit ça. Avec plein de petits cerveaux cachés partout dans leur corps. Et que c’est pour ça que je suis tête en l’air, et que je ne retiens pas les partitions, mais que dès qu’il s’agit d’apprendre à jouer avec mes mains, je suis toujours la plus rapide.

Tako-Yoko. Il m’appelait.

Que c’est loin, tout ça…

« Let it snoow, let it snooow... Let it snoooow… Ha ! »

Je ris aux éclats, la poitrine remplie de fierté. Je poursuis encore quelques mesures, contente d’avoir retrouvé mes marques sur le petit morceau, et relève un regard ravi en direction de Nathan.
Finalement, je laisse les dernières notes d’un accord de sol s’éteindre sous mes doigts, pensive, pendant que mon hôte, lui, s’affaire de son côté pour préparer son matériel. Je lui fais une place, en prévision, sur le canapé, et alors que je le regarde traverser son salon à grandes enjambées ravies, une idée me grimpe dans la tête. Je fait un petit bon sur mon coin de canapé, et lève une main en l’air pour attirer son attention.

« Oh ! Hé ! Tu sais ce qu’il faudrait à faire, aussi ? On enregistre. Le JAM avec… comme une caméra, ou quoi. Et comme ça, tu peux l’envoyer à moi. Après. Et aussi tu as une… preuve ? »

Ma voix s’éteint, alors que je réalise que ça n’est pas vraiment la direction dans laquelle je voulais emmener cette conversation. Après tout, j’avais bien senti, tout à l’heure, que tout ça le mettait mal à l’aise. J’aurais pu faire un effort pour tourner ça autrement, ou bien…
Un petit air paniqué vient éclairer mon regard, l’espace d’un instant, et je rougis, cherchant une échappatoire à cet accrochage involontaire.

« Ou bien… Enfin euh. Un… un souvenir, aussi… » Un petit sourire embarrassé se dessine sur mes lèvres, et mes doigts se promènent nerveusement sur le caisson de mon Ukulele. « Pour pas oublier ce soir. Oui ? »
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Nathan Weathers


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MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeLun 28 Aoû - 22:33

Le cœur en fête, Nathan est trop occupé à savourer la joie piquante de leur début de soirée, qui avait un goût de pêche à peine alcoolisée sur son palais, pour se formaliser de l’innocente maladresse de Yoko. Il s’occuperait de ses angoisses métaphysiques demain, si elles avaient lieu d’être – car il n’avait pas encore tout à fait écarté l’idée de sortir d’un moment à l’autre d’un rêve particulièrement sophistiqué.
On lui avait proposé de jouer la musique. Il serait fou de s’encombrer l’esprit de divagations si sérieuses quand l’heure était à le lester et à le laisser vagabonder librement sur les chemins qui lui plaisaient.
Plus tard. Plus tard les questions, plus tard les inquiétudes. Cette soirée s’écoulerait sous les auspices du bonheur et de l’insouciance. C’est pourquoi le jeune homme balaie d’un petit geste distrait l’embarras craintif qui accable la voix de son invitée et qu’il s’empresse d’aller trouver sa caméra, dans le rangement d’une de ces fabuleuses bibliothèques qui tapissent les murs du salon.

Il a apprêté sa contrebasse tout à l’heure, pendant que la jeune femme faisait sautiller quelques accords folâtres sur son ukulélé, et quelques rires espiègles dans sa gorge. C’était déjà un fort joli ensemble de cordes et il n’était pas question de le gâcher pour une bête histoire d’enregistrement.
Quant à la contrebasse, elle est plantée au milieu de la pièce, sur son support, et s’il choisissait de ne jamais la ranger et de la laisser traîner là toute la journée, elle se trouverait sans cesse sur son chemin. Il se trouverait tout à fait incapable de travailler et tout serait de sa faute – il l’aimait tellement. Elle est peinte en blanc, d’un blanc audacieux, immaculé et verni, poli comme un miroir. Sur scène, elle reflétait toutes les couleurs des projecteurs, elle était tour à tour rose, verte, jaune et bleue. C’était une grande coquette, une élégante, elle aimait se donner en spectacle : tout comme lui, du reste.
Mais il doit la faire patienter encore un peu, car il faut avant toute chose enseigner en bonne et due forme les paroles de ‘Let it Snow’ à Yoko. Il s’assoit paisiblement à ses côtés, sa caméra entre les mains, et ils conviennent ensemble de chanter à leur tour un couplet sur deux pour épargner à la malheureuse de trop s’embrouiller au moment d’interpréter le morceau. Et puis l’idée de se répondre l’un à l’autre dans le courant de la mélodie avait un charme certain.

Nathan ne se relève que lorsque la brunette est absolument au point sur ses parties et assez rassurée pour s’engager dans leur petite aventure. Il brandit la caméra au-dessus de son visage pour décocher à son œil de verre son sourire le plus ravageur, glissant en même temps à reculons sur ses chaussettes vers les fenêtres immenses et leur vue imprenable sur l’avenue, en contrebas, que des luminaires nocturnes incendient d’éclats polychromes.

« Bonsoir ! Je suis Nathan. Nous sommes le vingt-deux décembre dans mon appartement à Philadelphie et il neige à gros flocons dehors, sur l’avenue des Arts. Ce soir, je suis avec Yoko ! » Il retourne l’appareil entre ses mains pour en diriger l’objectif vers sa charmante invitée. « Et on se tient prêts tous les deux à improviser une jam du feu de Dieu ! Ça va sacrément swinguer. Attention, Cyrano, on ne touche pas à la caméra ! Sois sage. »

Le gros chat qui a grimpé sur le meuble de télévision, alors que Nathan a entrepris d’y jucher son appareil, pousse un miaulement des plus retors en tournant la tête vers lui pour le fixer de ses grands yeux bleus. Sa longue queue cendrée se balance soyeusement dans les airs et son maître, qui lui trouve décidément l’air trop roublard, l’attrape impitoyablement pour le déplacer jusqu’au canapé et le déposer dans le nid pelucheux de son plaid.
Une fois bien assuré que ce grand diable n’ira pas faire de bêtise – dans l’immédiat, en tout cas – le jeune homme rejoint à pas vifs son bel instrument de musique qui l’attend, noblement appuyé sur son présentoir. Un sourire chaleureux fleurit sur ses lèvres tandis qu’il croise le regard de la jeune Japonaise, assise près de Cyrano, et il tire enfin sa Grand-Mère en robe blanche sur l’appui de son pique.

« Tu es prête ? »

Il a passé son bras gauche autour du corps immense de sa contrebasse et, en attendant que Yoko se décide à ouvrir le bal, il accroche impatiemment sa main à la touche en ébène du manche, solide, douce et polie, comme une piste de danse offerte d’ores et déjà aux rebonds et aux entrechats de ses doigts. Un bourdonnement trotte à petits pas vifs le long de son échine et vient électriser ses mains et ses pieds, tant et si bien qu’il éprouve le besoin de se trémousser lui grimper dans les jambes et qu’il doit se mettre à sautiller sur le bout de ses orteils pour contenir son excitation.

Mais finalement, le ukulélé prend courage et égraine prudemment ses premiers riffs sous l’œil attentif de la caméra perchée en haut du poste de télévision. Nathan sourit d’un air rayonnant et enchaîne à sa suite avec un soin tout particulier, de façon à lui offrir un paisible courant rythmique où se laisser flotter en toute insouciance. Pinçant et pressant en mesure les grosses cordes en acier chromé de son instrument, il sent aussitôt son énorme masse vibratoire ronronner chaleureusement dans le creux de ses bras. Et comme chaque fois, malgré la simplicité de sa ligne de walking bass, l’émotion le gagne avec intensité. La voix de la contrebasse le pénètre déjà et l’investit jusqu’à la moelle, et s’il se laissait aller à son emprise, il s’égarerait entièrement au gré d’effets voluptueux et de grooves audacieusement improvisés. Mais ce ne serait pas pour tout de suite.
Sa contrebasse, c’est le pouls régulier, presque métronomique de leur duo, qui anime secrètement le roucoulement rêveur du ukulélé et bientôt, avec lui, la voix de sa propriétaire qui s’élève avec timidité.

Le sourire de Nathan s’étire fièrement sur son visage, tandis qu’il fait monter vers Yoko un regard en amande plus éclatant que toute une foule d’applaudissements. Oh, il est vrai que son ton n’est pas absolument juste, que sa voix elle-même n’est pas sans accroc et que son anglais a quelque chose d’une curiosité biscornue, tout entortillé d’accents turbulents et bariolés. Mais chacun des vers qu’elle chante fait vibrer sa petite gorge d’oiseau avec tant volonté, de sincérité et de réjouissance que personne au monde, ici et maintenant, ne pourrait prétendre faire de meilleure partenaire aux yeux du jeune homme. Ses gazouillements frissonnent, inattendus comme des péripéties à travers le flot tranquille dont les bercent leurs instruments.
Son compagnon, lui, respire avec une avidité secrète. Les joues rougies, marquées si fort de fossettes dont le ravissement frise l’absurdité, il fredonne discrètement, à l’unisson, pour inspirer plus de hardiesse encore à cette voix de môme. Elle, claire et tendre comme un hautbois, frémit avec une passion venue droit du cœur, gonfle audacieusement sous le coup de l’émotion, et il suffit au garçon d’élever à peine le ton pour l’accompagner dans les cascades enjouées du refrain.

Il prend le second couplet à sa suite avec cette spontanéité insouciante, presque rêveuse, que lui insufflent ces moments de créativité et module à souhait sa belle voix veloutée sur les sonorités chaloupées de sa contrebasse. Peu à peu, par petites touches rusées, il complexifie sa ligne de basse d’un doigté secret. Pendant que sa main droite s’autorise des envolées subtiles, quelques motifs syncopés, des triolets ingénieux, des glissés et des sauts tout en souplesse, sa main gauche est d’une précision absolue. Le cale de son pouce maintient diaboliquement l’intensité, et cependant sans pouvoir maîtriser toutes les surprises de son majestueux instrument. Une contrebasse n’est pas un outil réglé comme une horloge, qui répondrait à la perfection à la volonté du musicien comme un bon violon est censé le faire. Selon les tessitures, sous le vernis, les fibres d’érable et d’épicéa font entendre et sentir leurs singularités et vibrent souvent de leur propre chef avec une bonne grâce merveilleuse.
Là ça commence à swinguer pour de bon. Et ça, c’est fantastique.

Sa voix s’emmêle à celle de Yoko dans un concert plein de confiance et de douce énergie et elle s’en donne à cœur joie à son tour, sans se soucier des bêtes mots qu’il lui arrive de mélanger ou des quelques gloussements qui leur échappent innocemment.
C’est à Nathan qu’il revient de chanter le dernier couplet, les yeux brillants d’une allégresse malicieuse, voguant entre les précieuses petites perles noires nichées entre les cils de Yoko, cet âtre électrique qui ronfle en sourdine sous leurs harmonies, et les vitres de l’appartement où miroitent les scintillements de l’arbre de Noël. Il sourit de toutes ses dents et met dans ses ultimes inflexions tout ce qu’il a de charme et de chaleur dans le secret de sa poitrine :

« The fire is slowly dying
And, my dear, we're still goodbying
But as long as you love me so…
Let It Snow! Let it snow! Let It Snow!
»

La chanson s’achève dans des bruissements satisfaits et quelques soupirs rieurs, et enfin, la main droite du jeune homme quitte les cordes épaisses et rugueuses de son instrument et s’en va frapper paume contre paume celle de sa talentueuse invitée. Le silence revient à peine qu’ils commencent déjà à échanger des compliments et à jacasser étourdiment sur les restes de leur euphorie commune. Ce sont deux espèces de moulins à paroles : leur souffle est infatigable et leurs paroles rebondissent sans arrêt les unes sur les autres comme les ailes de ces bâtiments prolifiques qui se succèdent et tournent infiniment dans la brise. C’est comme si les belles paroles de Nathan dans la cuisine, tout à l’heure, avaient su apprivoiser les féeries chatoyantes de Yoko, tant et si bien qu’elle était descendue un nuage plus bas, où il avait pu la rejoindre, et qu’ils se retrouvaient à présent ensemble à balancer leurs jambes dans le bleu du ciel.
Et justement, c’est de là-haut que vient une idée au petit contrebassiste. Une fulgurance illumine soudain la nuit noire de ses yeux et il bondit aussitôt sur ses pieds.

Appuyant son massif instrument contre une des bibliothèques du salon qui abrite sa folle collection de CD et de vinyles, il s’élance vers l’ombre vernie de son piano et surtout sur son pupitre pour feuilleter ses diverses partitions.

« Il y a une chanson qu’on devrait interpréter tous les deux ! C’est une ballade, hmm… Tu dois la connaître. ‘Top of the World’, des Carpenters. Au ukulélé, ça doit être magique. Si ça te plaît, je pourrais chanter par-dessus et faire la ligne de basse au piano… Ah, la voilà ! »

Il tire victorieusement une page parmi son important florilège et examine consciencieusement, derrière ses larges lunettes, le délicat arrangement pour piano qui y est imprimé. S’asseyant sur son petit banc molletonné, il tapote à ses côtés pour y convier également Yoko et pose face à lui ses portées garnies d’accords très harmonieux. Il laisse la jeune femme disposer de la caméra comme elle l’entend au vu de leurs nouvelles dispositions, pendant qu’il se rapproche de son clavier, glissant ses fesses tout au bord de son siège. Son pied bat la mesure d’un ton mat sur le carrelage et il se lance avec intrépidité sur les pistes vaporeuses et fleuries de sa chanson.

Une fois Yoko parfaitement enchantée par ces mélodies qui bondissent comme des rayons de soleil sur les cordes du piano, ils passent un petit temps ensemble à se concerter sur les riffs à jouer sur son ukulélé, assis l’un près de l’autre, épaule contre épaule, roucoulant, gloussant et gonflant leur brillant plumage d’oiseaux chanteurs. Leurs doigts s’emmêlent avec un entrain gai et brouillon sur les cordes de la petite guitare de la jeune femme, et tapotent en rythme çà et là sur son vieux bois clair, entre les stickers d’ananas et de toucan à moitié décollés. L’affaire est parfaitement dans le sac quand, après l’avoir priée au moyen des moues les plus traîtres de son répertoire, Nathan parvient à convaincre son étrange amie d’apprendre à chanter au moins le refrain avec lui.
Il ne lui vient pas du tout à l’idée d’interroger l’alliance mystérieuse qui s’est tissée entre eux en l’espace d’une si courte soirée. Ils ressemblent à deux gosses conspirateurs cachés dans une cabane de couvertures, et aucun autre duvet n’est plus confortable que cette complicité-là qu’ils ont trouvée, avec ces échanges de regards mutins et de plaisanteries frivoles. Nathan se rafraîchit tranquillement le gosier du fond tiède de sa bière et finit par abandonner sa bouteille sur le piano dans un bruit bref, mais ferme, alors que la brave Yoko se résout à faire une première tentative.

Lui, se racle la gorge d’un air excessivement sérieux, remonte les manches de son pull et déplie comiquement ses doigts, un à un, avec toute l’emphase d’un grand pianiste. Et voilà qu’ils fusent agilement sur l’introduction, rapidement suivis par les rebonds paisibles du ukulélé, puis par sa voix elle-même qu’il déploie avec une profondeur inattendue. Ses inflexions sont onctueuses, comme un chocolat chaud, et précautionneusement nuancées tandis qu’il les soulève à discrétion de reflets poudreux et dorés.

« Such a feeling is coming over me
There is wonder in 'most everything I see
Not a cloud in the sky, got the sun in my eyes
And I won't be surprised if it's a dream…

Everything I want the world to be
Is now coming true especially for me
And the reason is clear, it's because you are here
You're the nearest thing to heaven that I've seen…
»
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Yoko Ogawa


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Christmas Spirit [Yoko] Empty
MessageSujet: Re: Christmas Spirit [Yoko]   Christmas Spirit [Yoko] Icon_minitimeDim 8 Oct - 2:07

J’ai le cœur tout en émoi, perchée au bord de ce petit banc de pianiste, les deux pieds reposant paisiblement contre la paroi vernie du caisson, sous les touches, et la drôle d’impression d’avoir soudain quinze ans de moins me submerge. Mes doigts se serrent sur le bois de son instrument, comme par peur qu’il ne m’échappe, et mes yeux papillonnent, glissant des partitions de Nathan à Nathan lui-même, avant de remonter vers l’objectif de la caméra, paisiblement nichée à l’ombre des premières branches du sapin. Le jeune avocat n’attend plus que mon signal, pour lancer les premières notes de notre chanson, et je m’en voudrais très fort de le décevoir maintenant, pourtant je n’y peux rien, j’ai les entrailles remplies de papillons.

Comment est-ce qu’on appelait ça, déjà… ?

Ah oui. Le trac.


Je dessine un sourire maladroit, et fait glisser un accord solitaire sous mes ongles, en faisant de mon mieux pour rassembler mon courage. Après tout, ici, personne ne me jugera si je rate, pas vrai ? Bon, peut-être Cyrano, mais il faut dire que les chats sont de toute façon des animaux très snobs. Il ne faut pas s’offusquer de leurs jugements. Il y a aussi l’œil de la caméra, au-dessus de nous, et je contemple un instant l’idée de le détourner de mon visage, pour me dérober à son regard intransigeant, mais après quelques instants supplémentaires de réflexion, je ne peux pas m’y résoudre.

Depuis quand il m’intimidait, celui-là, hm ?

Je secoue la tête, un air déjà plus décidé peint sur ma jolie frimousse. Mes narines se remplissent, inexplicablement, de l’odeur de la lavande et de mandarine, et de toutes ces huiles essentielles dont ma mère versait un mélange, dans l’eau de son bain, chaque fois qu’elle avait un concert important. C’était son rituel, pour lutter contre le trac. Le souvenir m’envahit, et gonfle ma poitrine d’émotion.

Je me sens prête.

Le sourire de Nathan, alors que j’incline enfin ma tête vers lui, pour lui donner le feu vert, est le plus aimable et le plus enchanté du monde. Je trouve ça vraiment très joli. Le piano ronronne, sous ses doigts, soudain, et fait battre mon cœur plus fort et plus vite encore, tout contre mes côtes.
Mon ukulélé émet un petit piaillement, tout aussi enthousiaste, et je me laisse entraîner par la douceur de la mélodie.

Nathan se met à chanter, la voix claire et bondissante, comme un ruisseau sur le flanc d’une montagne, et on peut sentir s’y refléter le soleil alors que les mots dessinent un sourire sur ses lèvres. Il vit chacune des paroles avec une sincérité touchante, qui fait vibrer dans mon ventre l’écho d’un entrain parfaitement ravissant. On est deux mômes. Deux petits êtres bien à l’abri des cahots du monde au milieu de notre bulle de sucre, d’insouciance et de musique. Ici, rien ni personne ne pourra nous trouver.
Vient le moment du refrain, qui me prend presque par surprise, et coule une petite fausse note sous la pulpe de mes doigts, qui trébuchent. Mais je me rattrape aussitôt, le cœur battant, et sous l’œil bienveillant de mon pianiste, ma voix s’élève à nouveau, et gonfle de confiance, comme un petit soufflé levant vaillamment dans la chaleur de son four.

I'm on the top of the world looking down on creation
And the only explanation I can find
Is the love that I've found ever since you've been around
Your love's put me at the top of the world


Mes mots dansent, sur leurs patins à glace, et bientôt je ne fais même plus attention, quand ils dérapent, ici et là, sur les petits pièges que l’apparente simplicité de la mélodie dissimule, dans son rythme et ses subtiles variations. Je n’écoute plus que le ravissement qui m’étreint, dans des bras particulièrement confortables, alors que mes doigts sautillent de corde en corde et font s’envoler les notes comme autant de papillons multicolores. Je me sens bien. Je me sens légère, et libre ; prête à décoller de mon banc à tout instant, pour partir voguer à mon tour dans les airs. Le sapin, à côté de nous, clignote avec enthousiasme, et jette ses lumières scintillantes dans le vernis noir du piano. Ça fait quelques étoiles, qui se dédoublent, même, alors que je plisse mes cils de contentement.

Le refrain revient paresseusement annoncer la fin imminente du morceau, et j’y met tout mon cœur, cette fois, appuyant mon épaule contre celle de Nathan, alors que ses mains montent de mon côté pour accompagner la petite escalade de nos voix. Les petites boucles de son afro viennent chatouiller mon oreille, et un rire s’insinue dans ma voix.

Mon cœur est serré d’émotion, comme une grosse éponge, et je le sens battre à nouveau si fort, dans ma poitrine, alors que le piano achève lentement de broder ses dernières notes. Il y a quelque chose du passé qui remonte, là, dans mon ventre, et qui s’y enroule paresseusement, en une boule de chaleur et d’émotion. Tout se mélange un peu. Il y a ma mère, dans les yeux brillant de Nathan, et dans les notes paisibles de ce dernier accord, qui s’étire avant de s’éteindre. Soudain il y a de l’eau sur mes joues sans que je puisse l’expliquer.

Je pleure, sur mon sourire, et dans un petit élan de panique, j’essuie mes joues comme je peux, dans les manches de mon sweatshirt d’emprunt. Ce ne sont pas des larmes tristes, mais je vois bien qu’elles affolent mon hôte, alors je voudrais bien les cacher. Il est un peu tard pour cela, cependant, et je dois bien me résoudre à croiser son regard, de mes yeux tout humides, alors je lève la voix, pour le rassurer.

« Ah c’est… C’est rien. C’est pas triste, c’est… » J’écrase une nouvelle larme contre ma pommette, soudainement empourprée. « C’est de l’émotion. Mais en bien, oui ? Tu… Ça va. D’accord ? Je vais juste… »

Abandonnant mon ukulélé sur la banquette, je me lève, et contourne la silhouette toujours assise de Nathan, pour refermer le clapet de la caméra et couper l’enregistrement, le temps de laisser toute cette boule de sentiments se démêler un peu. Il y a des choses que le regard de l’objectif n’avait pas besoin de scruter. Celui de mon hôte, lui, me pèse moins. Il est plein de compréhension et de compassion. Et un tout petit peu du souvenir de ma mère. Alors je n’essaie plus de m’en cacher.
Un drôle de soupir dans la poitrine, je le rassure d’un sourire, avant de trottiner jusqu’au canapé, pour m’y asseoir, et prendre une longue inspiration. Cyrano saute souplement sur l’accoudoir, curieux, et m’observe un long moment avant de se détourner. Il traverse le salon, à son tour, et vient reprendre la place que je viens de libérer, auprès de son maître légitime. Je pouffe, les yeux toujours humides, et ramasse, en guise de revanche, le gros plaid où le matou avait fini par se coucher, pendant que nous jouions.

« Dis voir, Nathan, est-ce que… » Je me blottis dans un cocon de laine, bien chaude et confortable, en rabattant le plaid sur mes épaules, tandis que mes yeux, eux, viennent chercher ceux de Nathan, toujours assis à son piano. Ils se font suppliants, l’espace d’une seconde. « Tu prends les… zut. Les demandes… spéciales ? »

J’espère de tout mon cœur que ma demande ne va pas l’ennuyer, ou qu’il ne va pas soudain me trouver bien égoïste, de l’abandonner comme ça, mais il y a là quelque chose, au fond de moi, qui en a particulièrement besoin. Quelque chose qui avait oublié ce que cela faisait, d’entendre du piano résonner pour de vrai dans une pièce, et de sentir les notes s’enchaîner sous le talent de doigts qui s’y promenaient comme dans un jardin. Parfois, je remontais sur le banc du piano de ma mère, déménagé dans la salle à manger de mamie, mais bien souvent je me trouvais bête devant lui, et face à toutes ces touches, qui m’étaient très obscures, et que je ne savais pas comment y trouver de belles mélodies à faire fleurir. Alors je n’en faisais rien, et le piano restait stérile.

Mais celui de Nathan, c’était un jardin immense, fertile et bien entretenu. Plein de vie et de musique, tel qu’un piano devrait toujours l’être. Un petit sourire triste se dessine sur mes lèvres, alors que je me laisse aller dans le moelleux du canapé, en remontant mes pieds pour les cacher sous mes jambes.

« Ma maman. Elle jouait le piano. Quand j’étais petite. Et… Il y avait une musique. C’est de Monsieur Cl…Claude. Debussy ? Et ça s’appelle… en français. Le… hm. » Mes sourcils se froncent. Le français m’avait toujours beaucoup vexé, lui aussi, et si je n’avais jamais oublié le titre du morceau, parfois il échappait à ma langue et je le disais de travers. « Rêveries ? Oui. Voilà. Tu peux si tu sais… le jouer ? Pour moi… ? Tu voudrais ? »
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