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 Life on Mars? [Nathan]

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Noah Chase


Noah Chase

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MessageSujet: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeMar 20 Juin - 15:24

L’appartement se remplit d’un bruit mécanique, rauque et métallique quand la clé téméraire tourna dans la serrure. S’étirant brusquement, les oreilles dressées jusqu’au sommet de son crâne, le Rhodesian Ridgeback se releva prestement pour aller s’assoir devant la porte qui n’allait pas tarder à s’ouvrir sur une silhouette familière, toute de noire vêtue, laissant s‘échapper dans le couloir de lourdes vapeurs de tabac froid, de parfums floraux et de chien. C’est dans une brusque bourrasque que Noah apparut, concluant le dernier mouvement de sa symphonie de la journée par un bruit sourd et un claquement sonore qui résonna dans tout l’appartement. L’albinos soupira en s’adossant à la porte. Son dos lui semblait si lourd… Elle crut peser le triple de son poids. Face à elle, Glasgow eut l’œil pétillant, vibrant même, d’une lueur extatique. La queue canine se mit à s’agiter frénétiquement, il ouvrit la bouche avec un enthousiasme bien trop visible pour ne pas être intéressé, et s’élança, pâte en avant, contre la jeune femme. Le poids la fit presque vaciller, mais elle ne céda pas: elle en avait tant l’habitude. Et il fallait bien dire que la présence animale lui avait manqué.

Continuer de se plaindre et de se morfondre aux oreilles lupines aurait tenu de la redondance; ressasser mentalement ses malheurs serait facilement passer pour une névrose. Voir du masochisme, au bas mot. Aussi ne céda-t-elle pas à la tentation de faire un énième point sur sa vie, et se contenta-t-elle se s’assoir à sa table pour s’étirer de tout son long, levant un bras en l’air, pour attraper son épaule derrière sa nuque d’une main légère et blanche. Elle répéta l’opération de l’autre côté et regarda longuement sa cafetière en soufflant de lassitude.
« Café… Ou non… ». En réalité, elle en faisait tellement dans la journée qu’elle perdait tout son enthousiasme une fois placée devant le triste fait. Mais c’est avec la sensation presque divine qu’une force suppérieure le lui imposait qu’elle traîna son long corps mince vers l’appareil usé qu’elle fit fonctionné tant bien que mal. Glasgow commençait à japper joyeusement, à tourner en rond face à elle.

« Ca a dû être une longue journée pour toi aussi mon beau… Ecoute mon grand, je me douche, et on part te promener. » Elle leva les yeux au plafond, et ajouta dans un murmure: « Et à moi aussi. »

Cela faisait depuis l’aurore qu’elle était debout. Sa nuit ne se résumait qu’aux deux heures de repos qu’elle avait eut entre quatre et six heures du matin, une fois qu’elle était rentrée de sa mission nocturne. Avec une poignée d’idéalistes, ils s’étaient introduit dans un laboratoire pharmaceutique connu, à quelques kilomètres de Pretoria, pour libérer une demi-douzaine de lapins qui servaient de cobaye pour des testes médicamenteux. Les bêtes étaient dans un état ignoble… Elle les revoyait encore: blanc tout comme elle, leurs yeux rouges vides et absents, résignés. Ils n’avaient connus que ces cages… Allumant une cigarette, Noah leva la main jusqu’à son appareil photo où se trouvait ses « victoires ». Une cinquantaine de clichés, dont seulement une main valait le coup, montrant le traitement inhumain que l’on réservait à la vie. Ils étaient pour la plupart déjà sur le net. Et pour les plus réussis, une place au Beeld  les attendait peut-être. Autant tenter le coup.

Le monde tournait parfois dans un sale sens. Inspirant profondément sur le petit tube, elle sentit avec une douce violence la fumée couler dans sa gorge, mordre sa peau et ses poumons. Cela faisait tant de bien… Une vague brûlante, asséchante, mais aussi fugace et docile qu’une étreinte ou une caresse. Attrapant son mug de café, la jeune femme rembobina sa journée avec une lassitude discrète, appuyant sur le bouton d’une télécommande au passage qui noya la pièce sous du Miles Davis. Mis à part l’évidente fatigue et le manque de sommeil, Noah s’en sortait plutôt bien: au travail depuis huit heure pour servir les premiers petits déjeuners, décongeler les pâtisseries qui arrivaient par pactoles dans des camions réfrigérés, sourire, encore et toujours, passer le temps, sortir fumer une fois, puis deux, regarder les aiguilles bouger encore et encore… Parfois, elle avait la sensation que le temps ne bougeait plus. Enfin, n’était-ce qu’une sensation?… Secouant sa tête et ses mèches jaunies, elle bascula la tête en arrière. Ses yeux croulaient presque sous le poids des cernes, ocres et sablonneuses. Quand à son dos, elle se demandait si il allait arrêter de souffrir un jour. Dans une feinte pour tromper l’ankylose, elle agita ses petits pieds meurtris, mais rien ne suffit à arrêter la douleur.
Pour certain, une tasse de café se boit en trois minutes, comme ça, pour tuer le temps et tromper le corps. Mais pour elle, s’était autre chose. Un petit rituel, un grigri ridicul pour se rassurer, et se rappeler qu’enfin, elle était chez elle. Au bout de plusieurs longues minutes, la pâle figure finit par se redresser, faisant craquer jusqu’à la plus improbable articulation de son corps, pour entamer de se remettre en action.

C’est avec une assurance détendue et désinvolte qu’elle retira ses chaussures avec ses pieds, pour jeter ensuite ses chaussette dans un coin de la pièce. Ensuite, et comme pour se laver la peau de ces frasques capitalistes, elle enleva son pantalon noir et son polo ridicule qui sentait encore le café et les arômes plus ou moins artificiels. Enfin à l’aise, il ne lui resta plus sur elle qu’un marcel blanc et un dessous gris, la tête de Minnie sur le haut d’une de ses cuisses. Le gris tranchait bien avec le crème de sa peau, et rendait d’ailleurs un aspect déséquilibré au monochrome de son anatomie: seuls ses yeux bruns saillaient parfaitement. Quand elle se pencha en avant, ses vertèbres craquèrent une à une dans une délicieuse libération - son corps paraissait parfois être une contrainte, et se battre contre lui était un lot quotidien. Mais passons sur le problème d’être rouillé à vingt-quatre ans, ça n’avait pas d’importance et elle mettait ça sur la jeunesse au niveau mondiale, non pas sur ses articulations usés. A cet instant, elle n’était plus omnubilé que par une idée fixe et pertinente: le besoin de se doucher.

Peut-être était-ce symptomatique des femmes, peut-être que d’elle-même. Mais venait cet instant savoureux dans sa journée où elle saisissait enfin l’opportunité de se débarrasser, viscéralement, des souillures de la journée, des problèmes, des soucis permanents que les êtres lui soufflaient dessus, des bulles de plaintes qui glissaient sur sa peau blanche comme des ailes de papillons. Ce n’était parfois que des souffles: de longs soupirs devant sa caisse, des sourcils froncés face à l’écran d’un portable. Tant de petites caresses acides qui restaient sous sa peau comme l’encre d’un tatouage. Oh, elle n’était pas dupe, elle devait certainement être un peu trop empathique avec le commun des mortels, sans plus les apprécier d’ailleurs. Mais c’était plus fort qu’elle: il fallait qu’elle se lave. Qu’elle sente l’eau couler, pour tout emmener avec elle dans le fond des tuyaux, qu’elle disparaisse dans le siphon et emporte loin tous les tracas quotidien. Un moment presque pathologique qui passait devant tout, même devant le confort du chien.


Avec une détermination discrète mais dévorante, la jeune femme se dirigea vers la salle de bain, et avec une assurance surprenante, baissa franchement la poignée de la porte pour…

… Quoi?

… Le vide? Le… L’obscurité. Noah recula brusquement, referma la porte, pas certaine de ce qu’elle avait vu, ni de ce qu’il s’était passé. Baissant une seconde les yeux, elle souffla, attrapant ses mèches de paille entre ses longs doigts clairs, les serrant comme du foin. Non, ce n’était certainement pas ça. La fatigue. Oui, la fatigue. Une absence, voilà tout. Elle souffla. Longtemps, pour soudainement attraper la poignée. Et comme si elle doutait encore, l’ombre d’un instant, elle hésita à tirer la porte vers elle. Mais finalement, ouvrit de nouveau la porte.

… Non, ce… Qu’est-ce que c’était que cela? Glasgow s’impatientait, commençait à grogner aux murs faces à lui, sans que Noah ne réagisse très bien. Et pour cause: face à elle, ce n’était pas sa salle de bain. Seulement un espace découpé, à la fois sombre comme du charbon, à la fois lumineux, où elle distinguait le béton d’une vasque et l’anthracite d’un carrelage qu’elle ne connaissait pas.
Une nouvelle fois, elle ferma à moitié la porte, se retourna jusqu’à sa table, se dandina même dans son salon en remuant ses pensées de tout ce qu’elle pouvait. Agitant les bras, ses neurones, secouant sa tête en déanbulant comme une folle. Mais pourtant, elle n’avait pas halluciné! Un instant, elle songea au café, mais une inspection scrupuleuse lui prouva le contraire. Et après s’être mordu un doigt pour s’assurer qu’elle était bien réel, elle ne pu arriver qu’à une seule conclusion: sa salle de bain avait disparu. Elle se ralluma une cigarette et s’asseya dans l’axe, dévisageant cette vision surnaturelle.

Il y avait à présent deux possibilités - elle n’en comptait pas plus. Soit elle avait abusé sur le manque de sommeil, et son cerveau perdait pied, soit elle était victime d’un phénomène étrange. Unique. Impossible. Ce devait être son cerveau, c’était son cerveau, son foutu cerveau… Sa main s’approchait de sa tête, prête à tomber comme un parpaing, mais un bruit distinct lui parvint de l’espace ouvert. Un… bruit d’eau, clair, qui ruisselle et s’explose contre la céramique d’une baignoire. Puis un chant étouffé qu’elle ne distinguait pas très bien. Son cœur cessa l’ombre d’un instant, admettant que cela pouvait être bien réel. Dans ce cas, elle pourrait être le témoin d’un phénomène unique au monde, et très réel pour ce qu’elle s’imaginait. Dans ce mélange contradictoire de sensation, elle finit par arriver à l’harmonie: un mélange incertain d’une curiosité dévorante, et une prudence détachée, un peu trop absente. Et comme toujours, son cœur s’accéléra: l’adrénaline qui coulait dans ses veines finit par l’emporter, et la jeune femme finit par fonctionner d’instinct, en pilote automatique.

Silencieusement, elle attrapa son Canon avec une impassibilité étrange. On n’aurait pu dire si ça avait été par manque d’intérêt ou par gravité, son visage n’indiquait rien. C’était… Etrange. Pas terrifiant ou malfaisant, juste étrange. Comme si une part de son cerveau s’était désactivé. Comme toujours, l’adrénaline faisait des miracles, révélant aux discrets qu’ils pouvaient cacher les plus téméraires des individus. Face à la porte, sa main se serra sur le cordon de l’appareil
. « Allez Noah… Tu es sur du lourd, tu es peut-être la première à vivre un… Truc pareille. ». Le moment n’était pas encore venu d’identifier la nature du phénomène. Ca, elle le ferait plus tard… Si elle revenait. Dans un brutal éclair, elle se retourna vers Glasgow, attrapant sa patte entre ses mains comme un enfant.

« - Reste ici mon chien, j’en ai pas pour longtemps… » J’espère. Et si je passes. Arh!

Le grand moment. Le frisson de l’inconnu. Le trac. Petit à petit, les papillons du ventre de Noah commençaient à pousser, à grandir, à grouiller dans ses entrailles. Elle prit une première photo, poussa la porte du bout de ses doigts pâles… Au moins, ils n’avaient pas été coupés par une force démoniaque ou une entité surnaturelle. Un premier pas en avant. Ses pieds pendaient comme au dessus du vide… Timidement, elle passa sa son visage par l’ouverture, lentement, secrètement… Les lumières étaient différentes. Un mélange de lumière artificielle et d’aube. D’aube? Ses sourcils se froncèrent. Où?…

Avec la discrétion d’un chat, elle se laissa glisser du bout des pieds sur la vasque, et retomba doucement sur le sol anthracite. Une musique familière sortait d’un petit  poste de radio, allumé dans un coin de la pièce, qui résonnait joyeusement sous le plafond, haut, parcouru de lucarnes. Une salle de bain dans des combles…
« Sailors fighting in the dance hall… » murmura-t-elle en communion avec David Bowie, mais sans conviction aucune, seulement le réflexe mécanique qui surpasse la conscience et la surprise.  
Devant elle s’étalait une salle de bain plutôt jolie, luxueuse, même, décorée avec un goût prononcé pour les matières minérales et le naturel qui était fort plaisant… Et que Noah aurait fortement apprécié si elle n’avait pas eut le cœur qui battait si fort, et qu’elle ne se rendait pas lentement compte qu’elle venait de faire irruption dans la salle de bain d’un parfaite inconnu. Une sensation glaçante mordit le bas de son dos avec les crocs d’un crotale. Ca n’avait rien à voir avec ce qu’elle ressentait quand elle s’introduisait chez des éleveurs sans scrupule, dans des labos..
Non, elle se sentait comme la dernière des vandales.

Flottant dans l’air, sa main chercha le rabat de la porte dernière elle mais ne parvint qu’à la refermer. Le cauchemar prit une tournure… Terrifiante. A côté du poste de radio, un costume coloré, même très coloré, était délicatement disposé à côté de ce qu’il semblait être un pyjama. Et le bruit d’eau… Le bruit d’eau omniprésent. Très lentement, l’albino se retourna, avala sa salive, sentant le sang quitter lentement ses extrémités pour essayer de nourrir son cerveau en crise. Il y avait quelqu’un dans la douche… Il y avait quelqu’un!

Ce qu’elle avait pris pour un miracle sortit de nulle part se transformait en mauvais film d’horreur - ou en comédie de série B de très mauvais goût issu du plus obscur des cinémas italiens… Dans un réflexe idiot, elle aspira brusquement et se pinça les lèvres, bloquant l’air au bord de ses poumons, s’acharnant à ne plus respirer pour taire tout ses bruits - ça donna une couleur étrangement terracotta à sa peau crème qui tournait au caca d’oie les secondes s’égrainant. Seigneur, au secours… On aurait dit que Noah était sur la lune, dans son dessous Minnie. Avec une lenteur inhumaine, elle remonta sur la vasque, se tuant pour ne plus faire aucun bruit, et tira vers elle la porte, pour…

… Des médicaments et des brosses à dents usagés? Ses yeux s’écarquillèrent brusquement. Du fil dentaire?! Glasgow… Son appartement… Ce devait être un cauchemar. Un foutu cauchemar… Un putain de cauchemar…

Si elle se retourna vers la figure sous la douche, son esprit était loin, et réalisait lentement l’ampleur de la catastrophe. Elle n’était plus à Pretoria, mais dans l’appartement d’un parfait inconnu. Et son appartement avait disparu. Et elle n’avait pas de pantalon.

Merde.
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Nathan Weathers


Nathan Weathers

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MessageSujet: Re: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeMer 21 Juin - 20:33

Un soupir fâché, long et maussade comme un jour de pluie, soulève la poitrine de Nathan et une expression douloureuse de dégoût vient froisser ses traits ensommeillés. Il referme son journal d’un geste vif et le jette sèchement sur le coin de sa table de chevet. Andrea aurait mieux fait de ne pas le lui remonter ce matin, malgré toutes ses bonnes intentions.

Voilà encore un meurtre sordide à incomber à la police. Et encore une personne noire au mauvais bout d’une arme de service. C’était un sketch. Un sketch effroyable et répugnant dont les gens ici faisaient leur quotidien. On se réveillait le matin, on payait son journal au kiosque, et on apprenait qu’une femme qui appelait la police pour signaler l’intrusion de cambrioleurs chez elle s’était fait tuer à bout portant par les forces de l’ordre parce qu’elle avait eu l’audace de protéger sa vie derrière un ridicule couteau de cuisine. Mentionner qu’elle était enceinte et que ses trois enfants s’étaient cachés dans une pièce adjacente de l’appartement ne faisait qu’enfoncer plus profondément cette épine d’amertume dans le cœur de Nathan, qui entoure sa tasse de thé à la menthe de ses doigts également noirs.
Il songeait péniblement à ce flic qui n’encourait aucun procès pénal parce que sa victime, après tout, était armée. Avec ces gens-là, Monsieur le journaliste, on ne sait pas. On exerce un métier dangereux, parfois c’est un vrai défi de distinguer un agresseur d’une femme enceinte terrifiée !

Les dents serrées, remontant rageusement ses lunettes sur son nez, il attrape en tremblant un peu un marqueur noir qu’il laissait sur sa table de chevet pour écrire dans la paume de sa main les idées qui lui venaient, les soirs où il ne parvenait pas à dormir. Il trace très religieusement le nom de cette pauvre femme sur sa peau et rebouchonne son feutre avec une nouvelle détermination. Si aucune procédure n’était engagée dans les jours qui viendraient, il contacterait lui-même la famille de la défunte. Ce type ne serait peut-être pas inquiété par ses pairs ou le système pénal, mais lui, il lui collerait un procès civil aux fesses et il faudrait au moins qu’il paie de sa poche. En fait, si le monde était bien fait, la police devrait payer des indemnités chaque fois que ce genre de choses se produisait.

La tête du jeune homme échoue avec lassitude dans son oreiller et il continue de siroter le fond de sa tasse, en caressant l’énorme chat couché comme une outre sur son ventre. Cyrano le Maine Coon émet quelques ronronnements contentés qui ressemblent à s’y méprendre au ronflement d’un vieux tracteur. La lucarne de la chambre, perchée en mezzanine au-dessus de l’appartement, est ouverte sur un ciel limpide qui annonce déjà les fortes chaleurs qui s’abattront sur Philadelphie dans la journée. Il est huit heures du matin, c’est un samedi.
Andrea avait vaillamment enfourché sa mobylette pour aller travailler au restaurant, laissant seulement au bon souvenir de Nathan une tasse de thé préparée avec soin, un maudit journal et une place encore creusée dans le matelas du lit, à ses côtés. En bas, le salon était plongé dans un silence endormi. Anissa ne s’était pas encore levée.

Nathan, lui, prend son courage à deux mains et doit pousser l’imposant félin de son perchoir pour pouvoir s’extirper de ses draps. Il passe dans la salle de bains en grommelant contre la police et les mauvaises nouvelles de bon matin, les cheveux ébouriffés comme jamais.
Il finit sa tasse d’une dernière gorgée et la pose sur une chaise, près de son costume couleur orange brûlée qu’il avait soigneusement plié là la veille, après l’avoir repassé. Il lève un regard attristé sur son reflet, dans le miroir qui surmonte le lavabo, et se lave le visage en se promettant que ce terrible événement ne lui gâcherait pas trop la matinée. Il passerait sa vie dans l’affliction s’il n’y faisait pas attention.

Le meilleur remède qu’il connaissait à ce mal se trouvait heureusement dans la même pièce que lui. Il se tourne vers son petit poste radio aux formes arrondies qui trône sur une commode et il va y planter une clé USB. Au bout de quelques réglages, la voix suave de Nina Simone résonne tendrement dans la salle de bains, portant avec grâce les paroles de l’Ecclésiaste.

« To everything, turn, turn, turn
There is a season, turn, turn, turn
And a time for every purpose under heaven… »

Les hanches de Nathan suivent paisiblement les vagues tranquilles de ces paroles et il déplie comme chaque matin un tapis de sport où il entame ses exercices. La musique le réconcilie en douceur avec le monde, et il s’applique dans ses efforts pendant une bonne demie heure, jusqu’à ce que son cœur lui semble plus léger à porter. Assis royalement au pas de la porte, Cyrano est venu le guetter d’un regard bleu, perçant et circonspect. Quand son maître replie finalement son tapis, il déguerpit sans demander son reste, sans doute pour aller réveiller Anissa, et Nathan, lui, referme la porte derrière lui en sifflotant par-dessus la voix de Lady Gaga, qui a très énergiquement succédé à Chance the Rapper dans l’empire sonore de la salle de bains.
Il s’agite en rythme sur le parquet, entamant quelques pas de danse plus enthousiastes, et entreprend de se déshabiller comme un prince de la scène.  

Son col libère brusquement la masse épaisse de ses cheveux qui se déploient cottoneusement sur son crâne, tandis qu’il fait sensuellement glisser son t-shirt sur une ondulation dramatique de son bras. Il pousse tranquillement de sa voix et fait rouler quelques vocalises sonores entre les murs de la salle de bains qui les répètent en échos, jusqu’à jeter son pyjama dans un coin de la pièce d’un tour de poignet digne d’une diva. « Oh-oh-oh-oh-oh ! Oh-oh-oh-oh-oh-oh ! » Le t-shirt s’envole avec beaucoup trop d’enthousiasme et atterrit maladroitement sur la cuvette rabattue des toilettes pendant que Nathan trémousse en rythme ses petites fesses sous le regard très snob de son miroir qui ne réfléchit ce spectacle qu’avec indifférence. Il lui retourne un regard courroucé puis arquant un sourcil aguicheur, il s’agite encore très savamment en faisant rebondir l’imprimé « Hot Buns » sur le boxer noir moulant que Tamara lui avait offert l’an passé pour son anniversaire.

« I want your love and I want your revenge, you and me could write a bad romance… »

Quelques moues canailles au bord des lèvres, il s’approche à pas de velours de son reflet qui le fixe avec impertinence et s’applique à faire descendre son sous-vêtement dans un déhanché ravageur. Le caleçon décolle à son tour et échoue dans l’évier d’un petit coup de talon bien ajusté.

« Oh-oh-oh-oh-ooh ! »

Le reste de la chanson se perd dans un mélange de sifflements et de fredonnement alors qu’il cherche sa brosse à dents dans le placard, puis elle s’étouffe (presque) tout à fait à travers la mousse du dentifrice qu’il engouffre dans sa bouche. Le temps de faire son affaire, Lady Gaga laisse humblement la place à un des albums de David Bowie que Nathan a tout entiers enregistrés sur sa clé USB et qu’il connaît absolument par cœur. Il identifie les premières notes de « Changes » en se rinçant le visage et, s’essuyant le nez dans le creux de sa main, il chantonne légèrement puis abandonne ses larges lunettes sur le rebord de la vasque en béton ciré, entre deux bocaux remplis de jolies pierres lisses et de bougies odorantes. On les allumait pour les soirées particulières dans la baignoire, que Nathan ne passait désormais plus qu’avec Andrea et quelques invités parfois de passage, depuis que Tamara avait quitté l’appartement.
Elle promettait sans cesse qu’elle reviendrait mais plus personne n’y croyait au bout de presque un an, y compris Nathan et son indécrottable optimisme. Elle n’y était pas obligée du reste, il y avait tant de monde qui allait et venait dans ce loft dont seule l’approbation tranquille de son titulaire légal – Nathan lui-même – le différenciait d’un squat. Et personne ne lui en voudrait. Ils connaissaient tous très bien l’horreur qu’elle éprouvait à faire face aux responsabilités de ce genre, ainsi que la nature vagabonde de son tempérament. Tout ce que Nathan espérait maintenant, c’était qu’elle vienne récupérer son terrarium et sa mygale dénommée Patti avant que Cyrano ne finisse par la gober toute crue.
Bref, il ne fallait plus compter sur Tamara pour le doux libertinage de salle de bains qui n’était, par ailleurs, pas du goût d’Anissa dont la foi s’exprimait pour bonne part dans un idéal de pudeur. Elle ne s’offusquait pas du stupre qui régnait à l’étage, tant qu’on lui laissait son espace, et de fait, ils cohabitaient tous dans une entente joyeuse et paisible.

Ainsi, les yeux myopes de Nathan laissent éteint le charme parfumé de ces bougies, un peu à regret, et il escalade le marchepied en bois de sa douche-baignoire tandis que Bowie se lance dans un hommage aux Beatles dont le piano presque commun s’émaille d’éclats extraterrestres. La gorge toujours doucement hantée de musique, il fait coulisser la paroi de douche, attrape le pommeau et ouvre les robinets. Un eau tiède et fluide l’enveloppe bientôt dans un clapotis qui enchante son oreille et ruisselle le long des lignes discrètes que dessinent ses muscles sous sa peau noire. Des gouttelettes fraîches rebondissent çà et là et lui constellent agréablement le visage.
Il se détend tout à fait et s’efforce comme toujours de ne pas se mettre à faire le point des choses à faire dans la journée. Il était bon parfois d’arrêter simplement le manège trop sérieux de son esprit hyperactif et de faire un peu le vide. C’était une de ces petites règles qu’il s’était fixées et qui lui permettaient de garder le cap et de continuer de voir la vie du bon côté.
Un parfum de miel et d’aloe vera s’élève parmi les vapeurs d’eau chaude et il se laisse bercer par la vague grisante de toutes ces sensations, enrobées d’une voix brillante, aux grains à la fois rugueux et caressants, qui entame ambitieusement l’escalade étrange du couplet de « Life on Mars ? ».

Nathan soupire et commence à fredonner du bout des lèvres la même mélopée lancinante qu’il perçoit confusément à travers les trombes d’eau, dodelinant rêveusement la tête dans le courant flou du solo de guitare. Le curieux build up de l’introduction s’élève dans une nouvelle ascension chromatique et lui accroche de nouveau si puissamment aux tripes qu’il suit une brusque inspiration de son cœur et pousse à son tour très audacieusement sur sa voix.

« But the film is a saddening bore
'Cause I wrote it ten times or more
It's about to be writ again
As I ask you to focus on…
»

Il prend une profonde inspiration, le pommeau de douche empoigné très théâtralement entre ses doigts, et s’apprête à se lâcher complètement en se laissant emporter par la passion du refrain – mais une drôle d’odeur le retient soudain et lui coupe toute respiration. Il fronce des sourcils.
Quelqu’un était en train de fumer dans sa salle de bains… ?

Il avait dit mille fois à Andrea combien il trouvait désagréable l’odeur de cendre humide qui flottait derrière lui quand il se permettait de s’en griller une en prenant son bain, mais Andrea était parti depuis une bonne heure déjà. Et encore un instant plus tôt, aucun relent de tabac n’était venu agacer la sensibilité puérile de son nez de chat. Quelqu’un était entré dans la salle de bains, et ce n’était pas Andrea – ni Anissa, à l’évidence. Plus décontenancé qu’effrayé, Nathan resserre les robinets et ouvre sans pudeur la porte coulissante de sa douche. Il pose un pied mouillé sur son tapis, et un autre, discret, sur le parquet tendre de la salle de bains, qui grince à peine sous son poids. Puis il attrape précipitamment la serviette qui pend au mur, accrochée à une patère, et couvre son intimité d’un geste vif en tombant nez à nez avec une femme en sous-vêtements.

« Euh. »

Il cligne des yeux, tenant sa serviette entre ses jambes par pur esprit de décence, et se triture les méninges pendant une à deux secondes, avant de relever la tête fébrilement. Elle était certainement ici pour prendre une douche, après tout, n’est-ce pas ? On avait dû lui indiquer le chemin, et voilà tout. Ce n’était pas la première fois qu’il ignorait la présence d’un invité entre ces murs et qu’il tombait dessus par hasard à l’heure du petit-déjeuner ou en rentrant du travail. Il excuse sa surprise par une petite mine penaude et esquisse un minuscule sourire en coin.

« Je suis désolé… Je n’ai pas tout à fait fini, mais dans cinq bonnes minutes… »

Il se pince les lèvres et plisse des yeux avec perplexité, fixant d’un regard trouble cette inconnue qui semble paralysée par un sentiment que sa satanée myopie ne lui permet pas de déchiffrer. Puis, prenant les dispositions qui s’imposent, il accroche sommairement sa serviette autour de ses hanches et avance vers la vasque pour récupérer rapidement ses lunettes tout embuées. Une fois qu’il les a glissées sur son nez, un soupir de soulagement vient gonfler sa poitrine et il peut se retourner vers son invitée surprise avec un sourire rayonnant et un léger rire qui papillonne contre ses cordes vocales.
C’était toujours curieux, ces situations.
Sa mère lui reprocherait sûrement d’être devenu une sorte de hippie chevelu, mais ça ne lui faisait décidément plus ni chaud ni froid à présent de rencontrer des étrangers dans son appartement. Il croiserait certainement un cambrioleur qu’il lui proposerait une tasse de thé sans qu’un seul soupçon ne lui traverse l’esprit. Mais bon, on ne cambriolait pas les gens en caleçon Minnie, pas vrai ?

« Hm. Vous êtes une amie d’Anissa ? Je suis Nat’. Enfin, Nathan, vous voyez. »

Il lui tend une main pour achever les présentations, puis se ravise presque immédiatement, en considérant qu’il est quasiment nu et que cela doit justifier en grande partie l’expression interdite accrochée au visage de la jeune femme.
C’est une personne gracieuse et élancée dont la posture semble toutefois accuser le coup d’une lourde fatigue, et qui paraît presque crouler sous des jambes tremblantes. Son regard noisette a capturé une douce clarté, une sorte de lumière boisée, oscillante et hagarde, et il se creuse de cernes ternes, larges et poudreux. Nathan commence à s’en inquiéter et perd peu à peu son sourire, d’autant qu’elle ne semble pas en état d’articuler un mot.
Se pourrait-il que… ?
Non. Non, il était vraiment trop tôt pour tirer ce genre de conclusions et cela n’était pas arrivé depuis longtemps maintenant – depuis février, du moins, et ce serait une extraordinaire coïncidence que le phénomène se soit reproduit carrément chez lui. L’univers n’était quand même pas à ce point gonflé ?

Destinant un petit geste bienveillant à l’égard de la nouvelle venue, pour lui signifier de patienter un instant, Nathan se dirige vers la porte et l’ouvre pour en avoir le cœur net, s’écriant à travers le premier étage pour interpeler sa colocataire.

« Aniss-… ? »

Sa voix s’étouffe dans un nœud que la stupeur serre brutalement dans sa gorge. Derrière la porte de sa salle de bains, ce n’est pas sa chambre sur la mezzanine aménagée et il y a très gros à parier qu’Anissa n’entendrait rien de son appel. Un rictus se fige sur le visage désormais blême de Nathan.
Devant lui, il trouve un petit salon coquet et au milieu, un énorme chien qui dresse l’oreille et écarquille ses grands yeux bruns. Délicatement, inspirant avec mesure autant d’oxygène qu’il le peut, Nathan ramène la porte avec lui et déglutit avec faiblesse. Il se tourne vers la blondinette qui est toujours plantée avec beaucoup de désarroi derrière lui.

« Oookay… »

Il secoue la tête. Pour se faire à l’idée.
It’s the freakiest show… Le chant énigmatique de Bowie résonne toujours sous les combles mais c’est comme s’il avait bel et bien réussi à les transporter sur Mars, cette fois.

« Ça faisait longtemps… » Sa voix est raide. Sa mâchoire tendue. Il marmonne pour lui-même. « Enfin, ce coup-là, c’est une première. »

Maintenant toujours sa serviette d’une main autour de ses hanches, il porte une main soudain moite sur son front et contemple son invitée en silence, quelques secondes, avant de conclure avec un sourire qu’il veut rassurant mais qui ne parvient qu’à se crisper sur sa figure :

« Eeet… pour vous aussi, on dirait… » Il se mord la lèvre. Une poignée de secondes s’envole de nouveau. « Vous… venez de ce salon, je suppose ? »
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Noah Chase


Noah Chase

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MessageSujet: Re: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeLun 3 Juil - 11:37

Sortir. Sortir vite. Mûe par un instinct de survie assez extraordinaire, Noah essayait de dégager vainement une échappatoire à sa situation plus que rocambolesque, et scrutait donc tous les recoins de la pièce inconnue. Les lucarnes, les fenêtres ? Elles indiquaient que l’on était sûrement dans le début de la journée, inondant les toits d’une vive lumière dorée, presque mystique. Mais voilà où était le majeur problème. Les toits. Et l’albino ne se sentait pas vraiment d’humeur pour tenter le saut de l’ange d’une hauteur indéterminée – certainement bien trop haute pour assurer sa survie – ni pour tenter de jouer les reptiles sur un toit, mais pour ne serait-ce que profiter de la vue. Il y avait bien une porte, qui devait mener à une chambre où une autre pièce, mais là encore, son cerveau s’alarma. En bonne Watson, elle avait compris que la pièce vaste et luxueuse était trop grande pour être celle d’un studio, et les nombreuses brosses à dent et les divers produits du placard lui avait fait comprendre quelque chose : qui que soit son hôte infortuné, il n’était sûrement pas seul.

Ni la fenêtre, ni la porte... Ses chances de fuite devenaient de plus en plus minces, et elle commençait à perdre le peu de patience qu’elle s’était accordée. Dans un élan de pragmatisme, elle se dit qu’elle pouvait tout simplement prendre contact avec l’individu sous la douche. Là encore, les choses se corsaient. Parce que les fenêtre lui indiquait clairement que non seulement elle n’était plus à Pretoria, mais en plus elle n’était plus en Afrique du Sud, mais bien quelques heures... Dans le futur ? Ou peut-être le passé.
De fil en aiguille, cette déduction en imposa une autre : ils ne parlaient peut-être pas la même langue. Ce qui en soit était un problème, mais surtout lui rappela amèrement que la situation en elle-même était un problème, et n’était sûrement pas sensé exister.

Mais maintenant qu’elle était là, eh bien... Autant faire avec. Réfléchir, réfléchir... Il n’y avait plus de temps pour ça. Rattrapait par l’adrénaline qui s’accumulait franchement dans ses veines en déroute, elle fit quelques pas de chat en avant pour s’approcher de la porte – peut-être serait-elle découverte, mais au moins elle serait en vie, quand le bruit d’eau derrière son dos s’arrêta brusquement. Soit on l’avait découverte, soit il ou elle en avait tout simplement fini avec son hygiène corporel.  Dans tous les cas, c’était un question de seconde. Retenant sa respiration pour ne pas plonger dans la panique, elle se redressa le plus naturellement du monde et se retourna lentement. La porte de la douche glissa...
Un petit afro s’en dégagea d’abord, humide et sauvage, et ses yeux firent le reste du chemin sans son accord, cousant sous cette coiffure généreuse le corps d’un jeune homme noir et complètement nu, imposant à sa cambrioleuse de lever les yeux aux ciels dans un réflexe de pudeur avant de les couvrir avec ses mains blanches, avant de comprendre qu’enfin elle était démasqué.

Dans un mélange d’alerte et de soulagement, son sang ne fit qu’un tour. Si elle avait eu des couleurs, elles auraient probablement fondues sur le sol autour d’elle en une flaque polychromatique. Ici, c’était plutôt qu’on ne distinguait pas la différence entre sa peau et sa pâleur. Un bruit froissé lui indiqua que son hôte avait trouvé parade à sa nudité, et elle se permit de recouvrer la vue pour enfin faire face à celui qu’elle vandalisé, pour se retrouver plutôt surprise par son identité. Elle aurai juré tomber nez à nez avec quelqu’un d’âgé, aux rides de richesses tranchant le visage, à la peau blanche couvertes de veines et de varices, aux tâches brunâtres. A la place : le jeune homme la considéra sans plus être surprit, et balaya toute cette histoire avec un sourire bienveillant. Sur le coup, elle eut l’air mille fois plus surprise que lui – et elle ne savait pas vraiment pour quelle raison : par le fait d’être découverte, ou celui qu’il trouve normal de trouver une inconnue dans sa salle de bain alors qu’il se douchait.

L’homme avait finis par se couvrir, d’une façon plus ou moins pudique, mais Noah pouvait néanmoins le regardait sans risquer de paraître pour une lubrique. A bien le regarder, il paraissait plus jeune, et avait sur ce visage cette forme d’innocence, d’insouciance que l’on prête volontiers aux enfants, aux saints. Elle l’imaginait bien dans le social, ou dans une petite boutique de quartier, à aider son prochain, toujours là pour porter assistance aux petites vieilles aux feux rouges, à acheter une boîte de cookies aux scouts. Elle-même pouvait lui donner le bon Dieu sans confession, et avec le sourire aux lèvres. Une mine franche, un petit nez rond, une peau de bébé et des yeux rieurs : il avait tout du bon copain avec lequel on refaisait mille fois le monde, qui s’emporte pour ce qui le passionne, mais sourit aussitôt pour chasser l’orage. Quelqu’un de bien.
Sans même savoir pourquoi, l’africaine se sentit bien plus coupable qu’avant, et baissa les yeux sur ses pieds laiteux. Quand la voix masculines retentit, son instinct reprit alors le dessus brièvement pour capter attentivement tous les mots qui sortaient de sa bouches : de l’anglais. Les syllabes étaient fluides, un peu mâchés, venant tantôt du nez et tantôt de la gorge. Elle reconnaissait cet accent de tous les films qu’elle regardait. Il était américain...

... Et impatient d’en finir avec sa toilette. Presque naturellement, Noah voulu s’excuser bêtement et ressortir pour s’assoir tranquillement le temps qu’il termine, pour se laver à son tour. Quoi ? C’était donc si naturel pour lui de rencontrer des inconnus dans sa salle de bain ? L’albino bouche bée sentait ses pensées ralentir lentement, sa mécanique se troubler sous l’effet de la surprise. Elle recula doucement, comme pour le laisser passer sans trop comprendre elle-même où elle allait, et où lui-même se rendait.
Les vêtements étaient le siens sans doute... Peut-être était-ce préférable de faire profil bas, de faire comme-ci elle était là par erreur, conduite là par... Quelqu’un, quel qu’il soit. Il lui suffirait de se faufiler par la porte, trouver l’entrée et partir comme une voleuse, chapardant au passage un pantalon, et aviserait d’un plan une fois dehors...

Mais les choses n’allaient pas dans ce sens. Il se détourna quelques secondes, noua sa serviette, laissant le temps à la visiteuse de flâner sous le toit du bout de ses yeux, retrouvant au ciel les derniers éclats de la golden hour qui dévorait la pointe des toits qui s’étalaient par milliers. Où qu’elle soit tombée, c’était une grande ville. Une grande ville américaine. New York ? La géographie n’avait jamais été sa passion, elle était du genre à placer Honolulu au centre de la France, et Bombay en Bolivie. Aussi, pouvoir se situer aux Etats-Unis était définitivement un luxe hors de sa portée. Quand elle reposa son regard hagard sur son hôte – un peu forcé, elle tomba sur sa main.
Nathan ? Nathan. Et Anissa. Ca faisait deux noms en plus sur le tableau, bien qu’elle ne sache toujours pas de quel tableau il s’agissait, et quoi y rajouter. Mais c’était toujours ça de prit. Sans trop savoir pourquoi, et dans un soudain moment de grâce, elle voulut tendre la main à son tour, mais elle s’aperçut que son interlocuteur s’était ravisé avant elle. Et dans tout cela, elle n’avait pas encore dit un mot... Un mélange de choc, de surprise et d’incompréhension se bousculait en vague épaisse dans ses yeux terre, sans qu’un des sentiments de parviennent à prendre le dessus. Ses neurones étaient bloqués sur la position « repeat », véhiculant sans cesse les mêmes informations sans qu’elles ne fassent sens, sans qu’elle parvienne à trouver la sempiternelle vérité face à ce qu’elle avait sous les yeux. Soit, que son appartement avait disparu, et qu’elle était chez un parfait inconnu à l’autre bout du monde.

Elle ne su pas tout de suite pourquoi elle parvint à saisir cette lueur familière dans le regard de Nathan avant qu’elle aille vers la porte. Ce petit éclair, de génie peut-être, de celui qui a une illumination. Peut-être comprenait-il tacitement son état, peut-être reconnaissait-il le visage de celle qui est perdue, à la façon d’un chien errant dans sa salle de bain, croulant sous la fatigue. Comme si il la comprenait. Mais c’était sûrement son imagination qui surestimait un peu son énigmatique sourire.

La suite ne fut qu’une accumulation d’absurde, qui la fit s’interroger sur la nature même de son état, et si finalement elle n’était pas en train de dormir sur sa table. Ou encore mieux : devant la machine à café du boulot. Faites que ce soit son lit !
Mais non. Au lieu de se réveiller, elle restait planter là, à regarder son - voisin ? Hôte ? Cambriolé ? Elle ne savait plus trop – debout devant la porte, à regarder avec surprise ce qui n’était vraisemblablement plus chez lui non plus. Son visage candide et heureux s’était semble-t-il décomposé, et lui fit penser à sa réaction quelques minutes plus tôt. Noah ne pu s’empêcher de soulever malgré elle l’objectif et prendre un cliché à la volée. Quitte à documenter cette aventure, autant le faire jusqu’au bout, qu’il y ait un homme à moitié nu en personnage principal ou pas. Mais attendez...
Mais aussi soudainement qu’elle avait ouvert puis refermer sa porte de salle de bain, il en fit de même et la dévisagea étrangement, avec la même surprise aigre et désappointée qu’elle ne lu, la même incompréhension... Et un brin de compassion. Elle supposa qu’elle avait compris, et sentit poindre au fond de sa gorge un sentiment de soulagement défiant toute logique.

« Ca faisait longtemps ? » Noah haussa un sourcil interrogateur, un peu crispé : on les voyait à peine, d’un doré pisseux sur sa peau si blanche, comme de la crème. Elle avait sauté sur le rictus d’une façon animale, d’instinct, sentant que le jeune homme avait en main une clé qu’elle n’avait pas. Qu’il comprenait peut-être plus la situation qu’il voulait bien le dire – quoiqu’ils ne se connaissent que depuis une poignée de seconde, et que ce fut bien normale. Se reprenant, elle se tempéra un peu plus en regardant ses chaussures. Enfin, ses pieds plutôt. De plus, elle s’aperçut qu’elle avait repris ses mots avec un fort accent africain, et qu’il n’avait probablement rien compris.


« Pardon. Hmm... » Comme si elle avait causé cette... Faille dans le continuum espace-temps, elle regarda le plafond un instant, tentant de retrouver une forme de sérénité qui de toute évidence lui faisait défaut. Elle percevait assez bien le trouble qui lui faisait face, et de toute façon, elle n’aurait pas pu trop lui en vouloir : elle avait réagis de la même façon. A présent que les rôles s’inversaient, une forme de distance la poussa à être un peu plus tranquille – étrangement. Elle essayer de se convaincre qu’il valait mieux relativiser, là encore, ce n’était pas gagner. Et pourtant, elle parvint à prendre les choses comme elles venaient.

Le tout était à présent de savoir si il y avait bien derrière cette porte son propre salon, ou celui d’une tiers victime de cette absurde comédie. David, ô David, veux-tu bien te taire...
En prenant son courage à demain, elle s’avança, et se faufila entre Nathan et sa porte. Ce n’était pas trop compliqué : elle était plutôt fluette, et passait juste pour être la première devant l’ouverture. Au passage, elle réitéra ses excuses, consciente d’être un peu envahissante... Dans tous les sens du terme.


« Je suis désolée. » Elle essayait d’articuler le plus doucement possible, essayant de taire les gutturaux restes afrikaans qui piquaient sur sa langue. « Permettez-moi... » Doucement, elle tira un peu sur la poignée, passant un œil discret vers l’interstice. Un poids énorme se souleva de ses épaules. Et dans un éclair de soulagement, elle s’écria bien malgré elle. «  Glasgow ! »

Des aboiements joyeux lui répondirent, ainsi que les claquements joyeux de la queue du molosse qui fouettaient frénétiquement l’air. Cependant, le bref soulagement se transforma brusquement, perfidement, en une peur tacite née de l’étrange. Consciente que si elle fermait la porte, tout pourrait disparaître, elle ouvrit le tout rapidement, permettant au chien de passer par l’ouverture avec toute la force d’un cabot en fête, peut-être au grand désarroi de Nathan vers qui elle se retourna, ne maîtrisant pas la myriade d’émotions qui traversait son visage, dirigé par une confusion sourde.
Pendant une poignée de seconde, elle le regarda sans trop savoir quoi dire. Une force supérieur l’avait poussé dans sa vie sans qu’aucun des deux partis ne le souhaite, sans même qu’ils se connaissent. Et les voilà condamner à partager un espace singulier qui n’avait ni queue ni tête... Et où personne n’avait l’assurance de revoir un jour son chez-soi entier. En réalisant cela, Noah fut brusquement saisie par la compassion : Nathan avait vraisemblablement perdu sa maison, sa copine, et le reste de sa garde-robe. Cette situation n’était à l’avantage de personne on dirait... Sans rien demander, elle attrapa d’elle-même la main du jeune homme collé à son front pour la serrer doucement, se présentant malhabilement au passage d’une voix plus ou moins assurée.


« Noah. Noah Chase. » Quitte à devoir vivre cette absurde aventure ensembles, autant faire les choses bien et partir du bon pied. Elle se retourna vers le chien qui souriait bêtement devant eux, et s’agitait tout autour de sa nouvelle victime à moitié dénudé. « Et lui, c’est Glasgow. Ne vous en faites pas, il n’est pas méchant. » Elle fit une petite pause, se rappelant que d’habitude, il n’était pas du genre à danser comme ça devant les inconnus. « On dirait qu’il vous aime bien. »

En prenant ensuite une profonde inspiration du fond de ses poumons, elle passa la porte à son tour, suivi de près par son chien qui frisait l’hystérie en courant dans tous les sens... Il était visiblement plus amusé qu’eux. Noah avait la salle impression de marcher dans l’inconnu. Bien que ce fut chez elle, c’était comme si elle découvrait tout, que plus rien ne lui appartenait. Une aigreur métallique stagnait au fond de sa bouche, à la naissance de sa gorge, la poussant à déglutir plus que de raison. Et Nathan... Elle ne pouvait pas le laisser comme ça. Avec le pas lourd, elle fit le tour de la pièce, s’apercevant que ses vêtements trainaient toujours par terre là où elle les avait jeté quelques minutes auparavant. Réalisant sa propre nudité, elle soupira, constatant qu’elle était de toute évidence passée au dessus : elle n’avait jamais été pudique de toute façon.


« Bienvenu à Pretoria. » Finit-elle par lâcher, un sourire un peu forcé aux lèvres, à moitié amusée par la situation, et à moitié déroutée aussi. Sans trop savoir comment ou pourquoi, elle invita Nathan à rentrer d’un geste de la main, avant de se dire qu’il préférait sûrement se changer. Il avait la chance d’avoir ses vêtement avec lui dans la pièce, prouvant que dans tout ce chaos, le monde était peut-être bien fait.

Machinalement, elle attrapa une cigarette et l’alluma dans sa foulée, inspira très profondément, et appréciant plus que de raison la morsure de la fumée. Elle avait une saveur particulièrement étrange. Dans la rue : tout était là, rien n’avait bougé. Le monde tournait toujours, même si cela sonnait faux. Alors que les braves gens allaient au bureau, ou revenaient chez eux, Nathan et Noah était coincé dans leur propre univers, un monde hors du monde.
« Vous préférez peut-être que j’ouvre la fenêtre ? » Lui lança-t-elle alors depuis le recoin qui lui servait de cuisine. Elle avait coincé le long tube dans le coin de ses lèvres pour s’offrir deux mains libres, s’agitant machinalement comme si de rien n’était. Quand le jeune homme osa finalement venir vers elle, elle avait en main deux mugs fumant rempli de café frais.

« Café ? » Lui dit-elle. Elle lui présenta le récipiant, Entièrement noir, ironiquement marqué d’un « Namast’Ay in Bed ».  C’est alors qu’elle se ravisa doucement. « Ou peut-être un thé ? Il y en a aussi. » Tout était si absurde... L’ambiance, l’air même qu’ils respiraient... En s’acharnant à vouloir redonner à leur rencontre des airs de normalité, elle avait l’impression de marcher à l’envers, ou sur la tête peut-être. Fumant plus vite que prévu, elle jeta les cendres dans un bocal à moitié remplis qui lui servait jadis de tirelire et rangea frénétiquement ce qu’elle pu : elle jeta les habits sur le canapé, la vaisselle propre dans une petite commode usée, repeinte de multiples couleurs, poussant les restes du petit déjeuner et de shit qui traînait sur la table et ouvrant en grand les fenêtres. Finalement, un dernier détail la saisit à la gorge, et elle se faufila jusqu’à une porte un peu plus loin, celle de sa chambre, soucieuse d’enfin couvrir ses jambes avec quelque chose. Mais au moment de poser sa main sur la poignée, elle resta paralysée : son ventre se contracta de peur, peur de ce qu’elle pouvait découvrir derrière... Elle se rendit à la fatalité, récupéra son pantalon de travail, un jean slim noir, et l’enfila sans grande cérémonie.

« Hum... Asseyez-vous, je vous en pris. » Dit-elle, indiquant le canapé et le fauteuil dans un coin, sous des étagères où poussaient des plantes tombantes, ou la petite table en bois entourée de trois chaises. Un vrai salon d’étudiant... Nerveusement, elle bu quelques gorgées qui lui brulèrent la gorge. Elle espérait secrètement pouvoir prendre une petite pause afin d’encaisser le choc, et avant de reprendre le démêlage de ce merdier. Et d’un sourire un peu gêné, elle pria pour que Nathan veuille bien faire de même.
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MessageSujet: Re: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeMer 19 Juil - 3:12

Par bonheur, cette fois-ci, le sang-froid de Nathan ne s’est pas échappé très loin. Non pas qu’il détienne de clef quelconque aux glaçants mystères qui embrassaient aujourd’hui ce monde : en fait, il était pareil au commun des mortels, il n’y voyait pas plus clair et il se gardait bien de croire qu’il pouvait piger quoi que ce soit à tout ce chaos délirant. Seulement, cela devait faire huit mois à présent qu’il naviguait dans ces eaux troubles et il se sentait un peu comme le marin dont le pied s’est aguerri à force de voyages et qui s’accrochait vaillamment à ses tripes pour ravaler son mal de mer. Une nausée vague, flottante, fourmille encore dans ses entrailles et souffle de son haleine fétide pour lui soulever le cœur, mais il résiste tant bien que mal, garde son dos très droit et reste aussi digne qu’il est possible de l’être dans une serviette de bain.
C’est-à-dire qu’il est sûrement exsangue comme jamais, d’une pâleur terreuse et proche de la décomposition, mais toujours est-il qu’il fait de son mieux. Quand il croise son reflet dans le miroir, derrière la jeune femme qui s’est armée de son appareil photo, il est même prêt à croire qu’on a rarement vu de cadavre en meilleure forme. Non, vraiment. Il y avait une époque où il aurait déjà cédé à une crise de panique qui l’aurait enterré six pieds sous terre, lui et sa rationalité ébranlée d’homme moderne. Mais c’était derrière lui, désormais, n’est-ce pas ? A la longue, de toute façon… la seule conclusion définitive qu’il avait pu tirer de ces expériences, c’était la nécessité de savoir relâcher parfois la bride de son bon sens pour regagner en contrepartie un peu de son sang-froid.

Alors voilà. Le mieux qu’il a à faire, c’est de respirer à fond, de se calmer et de… passer au-dessus de tout ça. Hm ?
Relax.
Relax, Nathie… Ce n’est rien de plus qu’un autre… truc… bizarre. Pas la fin du monde. Pas… encore ?

Dans un drôle de réflexe psychosomatique, son épaule luxée à peine deux mois auparavant choisit cet instant pour lancer à travers tous ses muscles quelques douloureux signaux de détresse. Grimaçant d’inconfort, Nathan continue de se masser fébrilement les tempes mais sa deuxième main grimpe aussitôt s’accrocher à sa clavicule, comme si elle avait le pouvoir de retenir le féroce élancement.
« Ça va faire mal trois-quatre jours », qu’il disait. Mais oui, bien sûr. Et puis quoi encore ? Il y avait des moments où il fallait encore immobiliser ce bazar pour que ce soit supportable. Demandez donc l’avis du premier ermite montagnard venu sur des questions médicales… !
Bien. Tout de même, le point positif, à la différence de la dernière fois, c’était que l’univers ne l’avait pas recraché au sommet des Alpes et qu’aucune avalanche ne risquait de venir lui rouler dessus dans sa salle de bains, ou même dans ce salon, d’où qu’il puisse venir de la surface de cette terre – ou d’une autre, d’ailleurs. Dieu savait qu’il avait surmonté bien pire par le passé, alors ce n’était pas maintenant qu’il se laisserait abattre. Bon, d’accord, son appartement ne se trouvait plus de l’autre côté de la porte. Et c’était loin d’être anodin. Mais il finirait par remettre la main dessus d’une façon ou d’une autre, pas vrai ? D’ailleurs, il pouvait revenir à sa place aussi vite qu’il en était parti, exactement de la façon dont Nathan était invariablement redéplacé à Philadelphie, tôt ou tard, au cours de ses expéditions accidentelles à l’autre bout du monde. Il n’y avait pas encore lieu de s’affoler.
Alors… relax.

Une profonde inspiration, prise avec beaucoup de méthode, lui gonfle longuement la poitrine et la main dont il se servait pour se soutenir la tête grimpe dans ses cheveux frisés et s’y agrippe instinctivement, comme il en a l’habitude lorsqu’il éprouve quelques difficultés à se concentrer. Mais cette main-là lui échappe soudain et il met une seconde à réaliser que c’est sa malheureuse invitée qui la lui a prise d’un geste étrange, mais délicat. Il contemple avec étonnement ces doigts fins, pâles, presque translucides, qui enlacent les siens comme si ce geste ancien et coutumier pouvait raccrocher leur propriétaire désorientée à la normalité la plus terre-à-terre qui soit. Les yeux du jeune avocat ne quittent cette convaincante poignée de main que pour remonter au visage de Noah qu’il découvre animé jusque dans le fond des yeux d’une sincère et douce résolution. Leur lueur boisée est réconfortante et inspire à son cœur une confiance qui s’y love avec chaleur.

« Nathan… Weathers. »

Son sourire à lui se découpe plus malhabilement que d’habitude sur les traits fins de sa frimousse, mais il lui rend son salut, serrant ses doigts graciles entre les siens avec davantage d’assurance. Il est toujours à demi-nu, mais comme ça ne semble déranger personne, il se prête volontiers à ce jeu de présentation en se tournant ensuite vers le grand chien fauve, robuste et élégant, qui lui tourne autour, lui renifle les pieds avec curiosité et l’observe d’un œil brillant, toutes babines dehors. Amusé, il retient sa serviette autour de ses hanches et se penche pour gratifier la brave bête de quelques caresses entre les oreilles.

« Eh bien… ? » Il pouffe devant l’enthousiasme frénétique de Glasgow, qui est train de lui lécher abondamment la main, et malgré le gris cendre de son teint, il lève une mine enjouée vers sa maîtresse. « Ça lui arrive souvent, ce genre de coups de foudre, à votre protégé ? »

Noah s’avance et sa chevelure ondule en cascade sur ses pas, comme de l’écume qui mousse en mêlant à son reflux l’écoulement doré du sable. Elle parle parfaitement anglais, d’une voix tamisée, agréable malgré sa tension évidente, mais son accent est tout à fait étranger à Nathan : nasal, comme chez les Australiens, il est entraîné dans de curieuses intonations, caractéristiques de ce qu’il a pu entendre des langues germaniques. Encore une fois, il lui semble difficile de se représenter les origines de cette nouvelle venue, ainsi que de ce salon sur lequel la porte de la salle de bains est ouverte et où la jeune femme s’affaire désormais. Toutefois, il ne tarde pas à avoir sa réponse et il reste un peu bouche-bée en s’appuyant à l’encadrement de sa porte, une main toujours serrée sur le nœud de sa serviette, à sa taille, pour se prémunir de toute mauvaise surprise.

Pretoria ?
C’était en Afrique du Sud, ça… d’après ce qui lui semblait.

Il esquisse un pas hésitant chez Noah, foulant son appartement avec la prudence d’un chat échaudé. Comme deux océans qui se rencontrent, la musique urbaine de Miles Davis rejoint les fantaisies de Bowie, déferlante de synthés, de boîtes à rythmes et de slaps de basse avec, en avant, géniale, raffinée, magique, la trompette et son cortège de longues phrases en spirales.
Tutu.
Les yeux de Nathan, brillants et fascinés derrière le cerclage en plastique de sa monture façon fausses écailles de tortue, butinent d’un coin à l’autre de la pièce : de la petite cuisine humble mais haute en couleurs, au mobilier accueillant, refuge d’un joyeux bazar que la maîtresse de maison tente de dompter sous l’ombre florissante de quelques plantes tombantes. Tout cet endroit semble avoir été comme surpris au réveil dans son intimité, les yeux tirés, décoiffé, ébouriffé de sommeil, et en même temps tout à fait attendrissant de naturel. Un sourire discret éclot sur les lèvres rondes de Nathan, tandis que Noah s’offre apparemment une série de bouffées de tabac avec un soulagement qui n’entrave cependant pas ses élégantes attentions. Le regard du jeune afro se porte aussitôt sur les fenêtres qu’elle lui désigne et il hoche vigoureusement la tête.

« Oui, excusez-moi… je ne supporte pas très bien la fumée. C’est gentil… »

Il lui sourit plus largement, avec une franche reconnaissance, mais un léger frisson vient courir sur ses épaules. Considérant qu’il vaut mieux se couvrir, pour sa santé ainsi que le confort de son hôtesse, il tourne les talons et regagne le parquet de sa salle de bains, sans remarquer le moindre changement, sauf la différence flagrante de luminosité d’une fenêtre à l’autre. C’était comme si leurs appartements avaient fusionné en faisant fi des lois les plus élémentaires de l’espace-temps.
Il traversait l’Atlantique en passant le seuil de cette porte.
Un vertige soulève désagréablement ses pensées, comme une houle.

Il ne ferme qu’à demi la porte, inquiet que le salon ne vienne à disparaître s’il s’en séparait tout à fait. Cette crainte, comme le reste de ses réflexions, est absurde mais il n’y prend plus vraiment garde à présent. Il éteint sa radio et laisse à regret la voix de David Bowie s’évanouir. Alors, rapidement, il enfile son caleçon, puis son pantalon de costume orange, puisqu’il n’en a pas d’autres sous la main, et passe devant son miroir pour contempler sa tête crépue tout échevelée avec une grimace. S’il ne faisait pas quelque chose tout de suite, ce serait une horreur à coiffer dans le cas où, par pur hasard, le moment se représentait dans cette folle journée. Il ouvre son placard aussi sec, attrape son tube de baume au karité, le lâche précipitamment dans le lavabo après en avoir recueilli dans le creux de sa main et l’applique minutieusement dans les petites boucles serrées de ses cheveux. Elles se définissent peu à peu sous l’action combinée de son peigne à dents larges et du démêlant qui leur offre une brillance et un parfum très agréable. Quand il s’estime satisfait, il se rince les mains et attrape la chemise soigneusement pliée sur sa chaise pour l’enfiler au plus vite.
D’un coup de hanche, il pousse la porte pour revenir au salon. Il boutonne hâtivement son vêtement, croisant ses doigts avec vivacité sur une route qu’il a mille fois pratiquée, et sourit d’un trait maintenant bien plus énergique à Noah qui s’est déjà occupée de préparer des boissons.

« Je vous remercie. Un café, c’est très bien. Ça nous remettra peut-être un peu d’aplomb... ! »

Il lui fait un signe de tête et sa reconnaissance se lit de façon limpide sur son visage. Il avance pieds nus, et vient à sa rencontre pour la débarrasser d’un de ces gros mugs qui lui encombrent les mains et dont elle a l’air de ne plus comprendre qu’à moitié ce qu’elle voulait en faire. La pauvre se démenait pour lui rendre l’existence plus facile, depuis qu’elle avait retrouvé les marques à peine familières et cohérentes de son chez elle, mais le choc qu’elle venait de vivre était sans commune mesure avec le sien. Il avait déjà été percuté et balloté dans tous les sens par le paranormal, de manières aussi variées qu’étranges ou même brutales, et il avait eu le temps d’essayer de s’accommoder au fait que tout soit en train de foutre le camp. Ce n’était pas le cas de Noah. Elle était comme lui, quelques mois en arrière, tout à la fois troublée, perdue, et prête à croire que tout autour d’elle n’était qu’un rêve éveillé ou qu’elle était en train de disjoncter sévèrement. Ce serait presque trop épouvantable que ce qui se passe ici soit réel. Et cependant – cependant…
Un sourire navré, plissé doucement par l’empathie, vient s’accrocher aux lèvres de Nathan. Alors qu’il accepte délicatement la tasse fumante qu’on lui tend, ses doigts rencontrent de nouveau ceux de Noah et se referment brièvement autour d’eux, pour lui communiquer chaleur et soutien. Il les lui relâche au bout d’une ou deux secondes, hochant la tête d’un petit air de fatigue, et apprécie la bonne odeur du café en passant lentement le bout de son museau sur le rebord du mug.

Pendant ce temps, la Sud-Africaine aux grands yeux ambrés s’en est allée se rhabiller elle aussi et à son retour, Nathan a déjà bu quelques gorgées de sa tasse marquée d’une devise originale de lève-tard. Il accepte son invitation et louvoie habilement entre les îlots épars du mobilier, choisissant poliment de s’asseoir sur un coin du canapé, les deux mains serrées autour de sa tasse. Silencieusement, il contemple son hôtesse inquiète dont le teint a pris quelque chose de maladif, un peu jaunâtre, comme si elle était au bord de la nausée, à son tour. Il pince ses lèvres, le ventre serré, et tente de répondre à ce sourire qu’elle lui destine avec un effort courtois.

« Vous savez… ces phénomènes – je veux dire, ce genre de micmacs bizarres – ce n’est souvent que passager. Relativement passager. »

Il grimace légèrement, en prononçant cette nuance. Ses yeux s’envolent, évasifs, jusqu’à sa salle de bain encore ouverte, sautillant de mur en mur, et se perdant un peu en chemin dans les recoins de l’appartement. Puis, au bout d’un long moment, qui s’écoule, plein de songes, son regard rejoint de nouveau celui de Noah et il tente de lui offrir son air le plus rassurant et une voix tissée dans le plus fin velours :

« Ça finira par rentrer dans l’ordre. En attendant… on va tranquillement s’en accommoder. Et ça ira, vous verrez. »

Il hoche la tête avec autant d’assurance qu’il le peut. Mais bientôt, emportée par d'autres réflexions, son attention s’envole encore pour papillonner cette fois à la fenêtre et se perdre dans le ciel qui rayonne au-dessus de ce quartier inconnu, vivace et très verdoyant.

« Je n’avais encore jamais mis les pieds à Pretoria… » Il reste pensif, menant sa tasse à ses lèvres pour boire une petite lampée, avant de se retourner vers la jeune femme, prêt à lui dispenser de son bavardage ordinaire. « Je viens de… de Philadelphie, sur la côte est. Enfin, ma salle de bains se trouve à Philadelphie. Je ne saurais dire dans quelle dimension est tombé le reste de mon appartement. Quelque part sur Mars, peut être bien, David seul le sait. »

Séduit par son propre trait d’esprit, il lâche un rire aérien qui sonne comme un grelot parmi les audacieux souffles de trompette de Miles. Son index suit distraitement le rebord de son mug et en fait le tour, pendant qu’il continue de badiner, à la fois par habitude et d’autre part pour tromper la nervosité.

« C’est déjà arrivé. Exactement la même aventure. Pas à moi, mais à une amie, il y a peu de temps. Elle habite en Allemagne. Et un matin, comme ça, la porte de ses cabinets s’est ouverte sur un chalet suisse. » Il pouffe, encore parfaitement surpris à cette idée, et ses yeux lumineux contemplent longuement l’expression de la figure de Noah, un peu plus loin. Il finit par hausser des épaules, plus sérieusement, tout de même, histoire de ne froisser personne en prenant les choses à la légère. « De toute façon, depuis le Redémarrage, les choses ne tournent plus vraiment rond pour personne, je le crains. Certains événements datent d’un peu plus longtemps auparavant, pour quelques-uns d’entre nous. Seulement… ça, je crois bien que c’est nouveau. Enfin. » Il se mord la langue, saisi par une pointe de réticence et d’humilité. « Je peux très bien me tromper. Mais à ma connaissance, ça ne se produisait pas avant. »

Il soupire et engouffre soudain son nez dans sa tasse de café pour en boire une autre gorgée. Un peu d’embarras vient souffler un nuage de chaleur dans sa nuque et ses oreilles rosissent subtilement, pendant qu’il réalise combien il envahit la maîtresse de maison avec tout son blabla étourdissant. Il devait l’assommer, la malheureuse, et elle était sûrement déjà assez choquée par cette succession loufoque de péripéties. Dodelinant plus maladroitement de la tête, il fait remonter une grimace d’excuse vers elle.

« Pardonnez-moi. Je parle beaucoup et vous ne devez pas y comprendre grand-chose. » Il la scrute, le cœur piqué de souci, et lui lance finalement un geste vif d’encouragement. « Vous devriez vous asseoir, vous aussi. Et moi je pourrais essayer de répondre à vos questions, si vous en avez. »

Ou peut-être qu’il pourrait aussi se taire un peu, la laisser reposer ses nerfs et éviter de passer pour un énergumène sorti tout droit des caprices sans queue ni tête d’un film comme Mary Poppins. C’était à considérer, comme idée.
Alors Nathan la considère, très méticuleusement, en laissant un peu de place au silence, ainsi qu’à Noah elle-même qui vient s’installer dans son coin salon. Il sirote poliment le breuvage qu’on lui a servi et, du bout des doigts, il lisse les coutures délicates de son pantalon de costume.
Et cependant, à présent que tout ce beau monde est assis, Glasgow, le Rhodesian Ridgeback qui tournoyait dans l’appartement dans un bel état d’excitation, se trouve bientôt en mal de compagnie. Il les rejoint en battant la queue et considérant l’intrus d’un œil brillant, il fait grimper ses pattes avant sur ses genoux pour réclamer davantage d’attention et de caresses. Un autre gloussement batifole dans la gorge de Nathan, qui lance une main affectueuse dans le pelage de l’animal et lui gratte le museau avec application.

« C’est vrai que vous avez un gentil chien. Et comme il est beau… » Il lui tapote malicieusement sur la truffe et Glasgow se rebiffe bientôt d’un aboiement enthousiaste, que le jeune homme s’amuse à prendre pour une réponse flattée. « Mais oui, c’est toi le plus beau ! »

Au bout d’un moment, le chien se fatigue de ces pitreries et dans un gros soupir, s’étale par terre en posant sa tête sur les pieds nus de son invité, comme pour le gratifier d’un honneur que seul le gardien du foyer pouvait accorder. Sans pouvoir se l’expliquer, Nathan l’observe respirer paisiblement et lancer des regards luisants à sa maîtresse, depuis son nouveau poste, et il finit par lui ébouriffer le poil, dans la courbe touffue de son cou. En même temps, il adresse un coup d’œil inquiet, teinté d’admiration, à Noah et s’enquit prudemment :

« Ça va… ? Vous avez un sacré sang-froid, je trouve, c’est impressionnant. Moi… je ne faisais pas le fier, quand j’étais à votre place. »
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Noah Chase


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MessageSujet: Re: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeSam 30 Sep - 23:30

C’est avec une nervosité palpable que Noah balaya d’un revers de main une mèche tombante sur son front un peu moite, alors que Glasgow, dans une excitation déchaînée, prenait un malin plaisir à zigzaguer entre ses jambes. « Arh... Glasgow, stop ! » Essayait-elle de lui marmonner le plus discrètement possible, attrapant au passage une poignée pleine d’une paire de chaussettes et d’un soutien-gorge sale tout en posant sur une table les tasses fumantes. Pendant que son invité était affairé dans sa salle de bain... Enfin, SA salle de bain, l’albinos faisait de son mieux pour rendre sa tanière un petit peu plus présentable, un sentiment étrange d’aliénation motivant le moindre de ses gestes. Dans un instant de suspens, elle s’arrêta brusquement, brusquée entre deux espaces, s’interrogeant sur la vérité de sa conduite... Après tout, tout avait l’air si... normal. Si l’on oublié que sa salle de bain était piégée dans un univers parallèle et qu’un parfait inconnu était en train de se rhabiller dans la pièce adjacente – qui n’était apparemment pas du même pays – tout semblait normal. C’était comme ramener son rencard chez soi après avoir trop longtemps parcouru Tinder : effrayant et attirant. Mais avec une touche de Max Ernst en prime.
Avec une tension toute tremblante, elle aspira une dernière bouffée salvatrice, avant de faire tomber la colonne de cendre encore intacte dans le cendrier, qui acheva sa chute dans un bain anthracite et terrassé. Attrapant le petit récipient, elle l’emmena sur son chemin vers la table basse, et sentit brusquement le sol s’affaisser. Se retenant à un accoudoir, elle s’aperçu alors que ce n’était que le produit de son imagination qui devait compenser le manque de logique par des visions perturbantes.  

Quand Nathan revint, la pâle avait réussi la prouesse de déplacer tout son bordel d’un point A à un point B, soit l’avoir enfermé dans un tiroir plus ou moins vite d’une commode discrète, en bois délavé et rugueux, et avait récupéré les récipients brûlants du bout des doigts. Le jeune homme revint, fringuant et apprêté, et elle s’amusa du coin de l’œil des couleurs chaudes et vives qui l’habillaient. Elle avait l’habitude de ces excentricités sur la wax africaine, et pensa brusquement qu’il allait plutôt bien à la terre rouge et aride de l’Afrique, ce qui eut la vertu de l’apaiser un peu, en plus de souffler sur son esprit chahuté une pseudo impression de familiarité. Mais il subsistait une sensation bien aigre au fond de sa gorge, qui prit une ampleur toute nouvelle quand il s’approcha d’elle à grand pas, la laissant avec le vif instinct, animal et profond, de menace. Bien que consciente qu’il fut infondé, elle ne put réprimer le besoin de faire un pas en arrière, elle ne fit pas finalement : au contraire, il récupéra calmement une des tasses, la laissant un peu pantoise avec son mug entre les mains. Il avait l’air tout à fait serin, au moins bien plus qu’elle, et toute la nervosité qu’elle avait pu détecter à un instant sur son visage juvénile avait disparu sous un sourire tranquille et un regard bienveillant. Devant cela, elle ne sut si elle se sentait rassurée, épaulée, ou prise au dépourvu. Le contact bref de ses doigts, de sa peau épaisse et grainée, comme la sienne, parvint tout de même à remettre un peu de calme dans ses pensées, une brise tranquille qui calme l’onde agité.

C’est avec la vivacité d’un zombie – et sûrement le visage, à son grand dépourvu – qu’elle repartit brièvement, renfila son pantalon vivement, et balaya ses cheveux d’un geste de la main en basculant sa crinière d’un côté à l’autre de son crâne, lui donnant des airs de lionne sauvage, ou de folle un peu dépassée. Lutter contre sa fourrure jaune et sèche s’était avéré une bataille perdue d’avance, aussi choisissait-elle de travailler avec le matériau en sa possession au lieu de lutter contre elle. Une fois que ceci fut fait, elle attrapa un pull fin et d’un orange passé, au couleur d’un coucher de soleil, l’enfila alors, récupéra d’une main son paquet de cigarette et rouvrit nerveusement ses fenêtres, en regardant la rue avec une apparente tension. Ses mains se crispaient sur les poignets métalliques... Un soupire s’enfuit discrètement de ses lèvres épaisses. Ignorant les coups de pattes inquisitrices du chien sur ses jambes, elle faisait des efforts surhumains pour éviter de regarder derrière elle, essayant encore de discerner la fine limite entre le vrai et le faux, le réel et l’absurde. Peut-être que quand elle se retournera, il n’y aura plus personne sur le sofa usé...
Mais non. A la place, le jeune homme aspirait par note fumeuse de petites gorgées de café chaud, dont l’odeur épaisse et fumée se mêlait à celle, herbacée et chimique, de tabac froid, ainsi qu’à une vieille odeur d’encens incrustée dans les tapisseries qui recouvraient les fauteuils.

Il semblait si calme... Noah en était particulièrement surprise. Non qu’elle se soit particulièrement épanchée non plus... Mais elle se connaissait : sa façon de gérer la peur était propre à elle-même, et elle cachait le chaos et la panique sous un apparent sang-froid, préférant cacher aux yeux d’autrui ses émotions profondes qu’elle ne réservait qu’à elle. Mais Nathan... Il y avait quelque chose de doucement usé dans son attitude, une sorte de bienveillance habituée, d’empathie finement distribuée, un peu comme les médecins annoncent un cancer ou un décès futur. Quelque chose de sale, en somme. C’est donc avec un détachement médical qu’elle s’approcha timidement, ne sachant plus vraiment si il était assis dans son appartement ou si elle était invitée dans le sien. Un sentiment particulièrement étrange, donc...
Et ses paroles furent... Loin d’être rassurantes. Relativement passager ? Oui, elle allait mourir. « C’est un cancer spatio-temporelle, mademoiselle, en phase terminale. Vous en avez pour une dizaine de minutes, mais ne vous en faites pas, ce sera sans douleur. ». Et viendrait le clap de fin...
Se sentant glisser sur le sol comme une flaque d’huile, la jeune femme aspira hâtivement une grosse lampée de café, trop chaud pour ne pas être douloureux, et se força à ignorer la sensation brûlante du liquide qui arrosa ses papilles. Soucieuse, elle voulut chercher un peu de réconfort et de réponses dans les prunelles brunes, mais les deux jaspes coulaient déjà en direction de la faille spatiale, les enfermant dans un silence un peu rêveur. Ce qui n’était pas pour pleinement la mettre à l’aise, mais ça eut tout de même la vertu de l’apaiser un peu, avec la sensation de chaleur bienveillante diffusée par la boisson noire au creux de son ventre.

Il sembla revenir à lui quelques minutes plus tard, durant lesquelles ils avaient tous les deux pu prendre en mesure tous les évènements qui s’étaient enchaînées, déchaînées, et comment le monde normale les avait tous les deux froissés comme des mouchoirs, pour les jeter dans la corbeille du réalisme, là où échouaient les ghostbusters, les phénomènes paranormales, et autres expériences hors du commun. L’albinos était en pleine réalisation... Le chien, lui, gambadait dans tous les sens, content d’avoir un peu plus de compagnie que d’habitude, et posait de temps à autre une patte curieuse, sa laisse en vrac piégée dans sa gueule, vectrice d’un message à peine dissimulé. Noah croisa alors brusquement le regard masculin qui était revenu vers elle comme un boomerang, plein de sympathie et d’une douce accalmie, qui lui rappela les premiers rayons de soleil qui perce les orages. Il semblait prendre le plus grand des soins à la rassurer, à lancer à son âme en perdition une bouée de sauvetage. Et puis, sa figure sympathique et son grand sourire d’enfant respiraient la bienveillance, et Noah devait admettre que cela la mettait doucement à l’aise. Le destin avait plutôt bien fait les choses en choisissant cet individu-là entre tous les autres, et en la confrontant à un être haut en couleur, mais sage et calme.  

Mais un autre problème lui sauta brusquement aux yeux : il... il avait déjà connu ça, non ? Cela transpirait de ses mots, de ses phrases : il avait fait cette expérience auparavant... Et sûrement plus d’une fois. Noah était prise de court : était-ce plus courant qu’il n’y semblait ? Plus banale ? Vivait-elle un simple bad ou son monde était il vraiment en train de s’effondrer ?! C’était à s’y perdre, et la jeune femme s’enfoncerait volontiers dans la paranoïa si la voix maîtrisé et tranquille de Nathan ne lui permettait pas de garder les pieds sur terre. Il avait raison : ils devaient faire avec, quoiqu’il arrive ; Puisque ce qui arrivait n’était visiblement pas de leurs ressorts... Avec une attention certaine, elle l’écouta sagement, curieuse d’en apprendre plus sur ces fameux micmacs, cherchant dans ses paroles les clefs du mystère... Ou plutôt attendait-elle patiemment qu’il veuille bien en dire plus. Si elle restait terrée dans le silence, elle s’aperçut rapidement que Nathan était plutôt du genre à être bavard, ce qui en soit les opposait. Mais c’était plutôt agréable, et elle s’en accommodait volontiers. Recueillir ses pensées était comme une berceuse, et si il ressentait le besoin de confier ses paroles, alors elle serait son oreille docile sans s’en préocupper.

A Philadelphie, donc... Bon, elle pouvait au moins dire qu’elle avait un jour posé un pied aux Etats-Unis, même si c’était en sortant d’un placard de salle de bain et sur la vasque d’un lavabo. En petite victoire personnelle, elle raya mentalement ce souhait de sa « to-do list », et ne pu s’empêcher de sourire à l’évocation de David. Où qu’il soit maintenant, peut-être profitait-il d’un nouvelle appartement... Et d’une salle de bain légèrement décousu du reste. Après tout, il lui manquait aussi un morceau de son chez-soi, et s’en sentait plutôt légère. Après tout, il lui sembla que retrouver sa brosse à dent et son maquillage vegan et albino-friendly n’était pas la priorité.


« Je ne connais pas... Connaissais pas Philadelphie non plus. Mais Pretoria est une belle ville. C’est dommage que vous ne soyez pas apparu quand les jacarandas sont en fleur. C’est un spectacle magnifique. » La ville se retrouvait inondée de pétales mauves et odorants, une vague fleurit et enivrante qui s’emparait des rues bordées d’arbres. « Enfin, je ne vous souhaite pas de rester coincé ici jusqu’à ce que ça arrive... » Son sourire nostalgique s’effaça bien vite. Elle espérait sincèrement ne pas avoir scellé le destin du jeune homme...

Alors qu’il racontait la suite de ses aventures, elle en vint à se demander si finalement elle n’avait pas était une élue chanceuse depuis le début de sa vie, et si ce genre d’anomalies n’était pas plus mainstream qu’elle ne se l’imaginait... Que peut-être le monde avait déjà fini sa course et que la jeune femme s’entêtait à courir. Et plus il déroulait le fil d’une Ariane dans un labyrinthe bien plus vaste et sombre que prévue, plus Noah se décomposait. Ses yeux dorés s’arrondirent brusquement comme des soucoupes, et elle sentit les muscles tendues de sa mâchoire se détendre, et elle craint un instant que sa bouche ne s’ouvre toute seule, néanmoins il n’en fut rien. A la place, son cœur s’emballa, et elle serra nerveusement sa tasse... Pour en boire de longues et douloureuses gorgées.
Bizarrement, elle ne parvenait pas à remettre ses paroles en doute. Si elle l’avait connu à n’importe quel autre moment, dans n’importe quel autre situation, elle n’aurait certainement même pas pris la peine de l’entendre, en passant son chemin pour ne pas avoir à écouter les élucubrations d’un fou. Mais après avoir fait irruption dans une salle de bain à des milliers de miles de chez elle, en passant par sa porte qui donnait sur un placard de toilette... Elle pouvait tout avaler, à présent. Et Nathan avait alors des airs de prophète qui distribuait la bonne parole : elle en venait à se demander si leur rencontre dans ce vaste monde, lui qui semblait en savoir autant et avoir perdu toute surprise, était vraiment une coïncidence..


« C’est le moins qu’on puisse dire... » Murmura-t-elle faiblement, entre ses lèvres épaisses, un peu pour lui et surtout pour elle. Depuis le redémarrage... Tout partait à volo. Il finit par soupirer à  son tour, et la suivit dans son absorption prononcée de caféine. Dans un rictus nerveux, elle essuya des cheveux de son front pour les rabattre vers l’arrière de son crâne. Quand il émergea de son mug et lui avoua parler beaucoup, elle ne répondit pas tout de suite, balancée entre des sentiments partagés, et un peu perdus entre tous ceux-là. C’était comme si elle avait trop bu : elle se sentait forte, intacte, mais le monde autour d’elle semblait s’évaporer, devenait doucement poreux. Elle ne savait plus qui croire, ou en qui avoir confiance. En somme, c’était le chaos total... Sauf en elle-même. Des questions... Ca, elle en avait. Une tonne, même. Mais elle devait d’abord mettre un peu d’ordre dans ses pensées qui se fragmentaient, s’égrainaient comme une poignée de sable entre ses doigts dansants.

Le rhodesian se rappela alors à leur bon plaisir : il faut dire qu’il était bien énergique. Alors qu’elle vagabondait avec une excitation palpable, elle s’aperçut qu’elle ne l’avait pas encore sorti, et que le pauvre tenait sa vessie en otage depuis son départ le matin... Et qu’il n’avait jamais était trop patient. Devenant jaune, la jeune femme cumulait difficilement l’absurdité de la situation avec la poursuite du quotidien, qui semblaient brusquement incompatible. Dans un geste abattu, elle se plia vers l’avant, et massa longuement ses tempes blanches du bout des doigts. Sa peau était doucement moite... Dans un réflexe humain, elle se releva, et repartie ouvrir en grand ses fenêtres, ajoutant à celles déjà ouvertes celles au fond de la pièce, à côté d’un petit poste de télévision. Quand cela fut fait, elle se retourna doucement vers Nathan. Le jeune homme était réellement une énigme... Avec une volonté maladive de comprendre, elle s’en retourna à son fauteuil – se demandant toujours à qui il appartenait – et s’assit lentement, sans parvenir à quitter le mystérieux homme des yeux. Lentement, elle tira une nouvelle cigarette de son paquet pour la porter à ses lèvres, ne sachant plus qui et quoi croire.


« Je suis désolée, je... J’ai bien essayé d’arrêter. » Bafouilla-t-elle péniblement, ponctuant sa phrase de la friction métallique du briquet. « Il faut choisir son poison, comme on dit. » Ses yeux ne le quittaient pas. Mais qui était-il ? Il était si serein, et semblait prendre toutes les attentions du monde pour lui rendre la situation plus supportable... Il lui offrait même le silence sur un plateau, ayant sûrement conscience qu’à ce stade, elle en avait plus que besoin... Tapotant doucement du bout des doigts sur le tube de papier pour déposer la cendre dans le bocal rempli, Noah bascula la tête en arrière dans un geste introspectif. Comme pour panser son cerveau en crise, le canin se mit alors à japper et à accaparer toute l’attention du pauvre jeune homme en se redressant sur lui, lui imposant alors sa belle taille proche des soixante-dix centimètres, et ses trente-cinq kilos d’amour. C’était rare qu’il agisse comme ça avec les inconnus... Mais il devait émaner de Nathan une aura particulière : même Noah pouvait la sentir, cette vibration rassurante et sereine, cette nervosité distillée dans un océan de patience.

Pendant qu’ils s’amusent, elle aspire lentement la fumée, et la sent tomber dans ses poumons. Le monde s’est arrêté. Il lui fallait remettre les choses en ordre, ce n’était pas compliqué... Après tout, le seul hic était que les deux portes avaient... Fusionnées pour créer un rapprochement spatio-temporel. Une faille. Si X-Files tenait un épisode iconique, Noah, elle, voyait rouge. Mais elle devait admettre, au fond, être soulagée que ce ne fut rien de létal ou de trop dangereux pour leurs vies. Après tout, avec les paroles mystérieuses de son nouveau colocataire, il n’y avait plus rien pour la surprendre, et elle s’interrogeait même sur la nature de ses évènements. Descendant ses yeux pour croiser ceux de bois du jeune afro, elle hésita un temps, puis finit par hausser un peu les épaules, un sourire désolé et un peu désabusé se dessinant sur ses lèvres exsangues.


« Disons que je ne suis pas très... Expressive. » Et ça ne l’empêchait pas d’être complètement paumée. « Merci pour tout. » Dit elle finalement, s’inquiétant de le voir se froisser, et ne sachant même pas pourquoi elle le remerciait.

Se tordant le dos, elle se baissa pour récupérer la laisser qui traînait par terre, croisant alors le regard curieux et vif du chien par terre, affalé sur les pieds nus de son invité.
« J’espère qu’il ne vous dérange pas trop... Je ne l’ai jamais vu faire ça à un inconnu. C’est un chien méfiant, d’habitude, il n’est pas du genre à se laisser toucher par quelqu’un qu’il ne connait pas. Vous devez être quelqu’un de valeur. » Elle sourit alors, bien plus naturellement qu’avant. Si Glasgow était conquis, elle pouvait se détendre. Elle se laissait souvent guidée par l’instinct de son chien, qui avait toujours était un très bon juge du reste de la race humaine.

« Je dois vous avouer que je suis complètement perdue... » Finit-elle par avouer, défaite. C’était à n’y rien comprendre. « Tout ça, ça me dépasse complètement... C’est plutôt vous qui me surprenez, à être aussi calme. Je ne sais pas comment vous faites... » Brusquement, elle posa son mug sur la table, vidé. « J’ai... Besoin de savoir. Tout ça, tous ces micmacs bizarres... Qu’est-ce que c’est ? Vous avez l’air de connaître ça plutôt bien, ça vous ait déjà arrivé ? ».

Derrière son faciès juvénile, ses grands yeux sombres, et son air naturellement sympathique, il semblait cacher des secrets étranges et des expériences surnaturelles interdites, mais qui avaient du sens, au moins pour elle. Bien sûr, elle ne souhaitait pas le brusquer, et elle espérait qu’il le comprenne.
« Je ne veux pas vous forcer bien sûr. Ce n’est pas un interrogatoire, ne vous en faites pas... » Elle s’en voulait de devoir poser des questions aussi idiotes, mais elle ressentait ce besoin vibrant de savoir. Et puis, si c’était temporaire, alors, autant pouvoir discuter le temps que le phénomène s’estompe.

« Vous dites que c’est temporaire... Mais qu’arrivera-t-il si ce n’est pas le cas ? » Elle commençait à sentir le poids de la peur peser sur cœur, et une violente nausée s’emparer de son ventre. « Et si vous restez bloqué ici ? Je n’aurais jamais dû rentrer chez vous... » Elle attrapa son visage entre ses mains, espérant qu’elle n’avait pas tragiquement scellé le destin d’un innocent. « Et en plus je dois sortir Glasgow... » Le chien aboya joyeusement en entendant son nom, et se redressa brusquement pour s’asseoir devant elle comme il l’avait appris. Il déposa sagement sa patte sur son genou, levant vers elle de grands yeux suppliants. Attrapant sa tête entre ses mains, massant doucement ses oreilles soyeuses et tombantes, toutes douces. « Je suis désolée mon grand, ça va devoir attendre un peu.. » En relevant ses yeux vers le jeune inconnu, elle s’interrogea alors sur qui était cet étrange individu, sur sa vie, sur qui il était. Mais elle sauverait ça pour plus tard, sûrement. « J’espère qu’attendre ici vous convient. Je sais que ce n’est pas grand-chose mais... Vous pouvez faire comme chez vous. »

Elle avala sa salive. Tôt ou tard, elle devrait sortir le chien pour éviter une catastrophe supplémentaire, mais à présent, elle désirait simplement en savoir plus, mettre des mots sur ce capharnaüm. Avoir un début d’explication pour qu’ils puissent s’en sortir sans séquelles. Ou, au moins, laisser couler le temps. Elle lui adressait sa plus pure, et sa plus ouverte attention.

« Oh, et... Hmm. J’espère que vous n’aviez pas d’impératifs... »
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Nathan Weathers


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MessageSujet: Re: Life on Mars? [Nathan]   Life on Mars? [Nathan] Icon_minitimeSam 28 Oct - 1:02

Il semblait bien, en effet, qu’il se soit trompé. Avec sa largesse ordinaire, qui avait quelque chose d’excessif, il avait prêté à Noah un aplomb ou un sang-froid dont elle ne disposait peut-être pas, du moins pour aujourd’hui. C’était sa furieuse tendance à l’émerveillement et à l’optimisme, il ouvrait des yeux ronds sur les gens, se laissait impressionner comme un gamin de dix ans et la confiance redoutable qu’il leur accordait leur soumettait souvent des défis qu’ils n’avaient pas toujours le cœur à relever. Il voyait trop grand, parfois, Nathan, il attendait de ses rencontres de la magie ou de l’héroïsme, un je-ne-sais-quoi qui n’était pas tout à fait de ce monde. Et ses compliments glorifiants, son regard contemplatif, inspiraient quelquefois le vertige, et tantôt de l’agacement.
Heureusement, ce n’était pas un garçon buté et la vulnérabilité des uns et des autres, il savait la reconnaître quand elle pointait le bout de son nez. A lui, ça faisait l’effet d’un frisbee qu’on se prend en plein dans la figure. C’est douloureux, la souffrance humaine. Et Noah qui s’agite entre ses fenêtres et son fauteuil, petit à petit, elle lui semble un peu plus qu’inquiète, maintenant : il y a une fêlure sur son masque de Pierrot, dans sa délicate porcelaine.

Il la contemple, sans un mot, observant en même temps le silence qu’il lui a promis, et il l’écoute faire ses premiers pas dans leur conversation, d’une petite voix trottinante et frileuse, comme le galop furtif d’une souris. Il se l’imagine timide, à présent, timide jusqu’à l'impassibilité, et il songe que, quand elle prononce d'un ton calme une de ses paroles, elle tremble sans doute en dedans. Peut-être tremblait-t-elle même si fort qu’elle pourrait tout à coup s’effondrer, de l’intérieur aussi, et ce serait comme ces arbres, l’hiver, qui s’écroulent dans la solitude blanche de la forêt : on ne sait rien de leur chute, parce qu’elle ne fait pas de bruit. Ça fait froid à Nathan, soudain, cette idée, et il devine en même temps qu’il devra rester sur ses gardes, les yeux et les oreilles grandes ouvertes, s’il veut retenir Noah avant que l’absurdité de ces événements ne la rattrapent et ne la précipitent dans un abîme d’angoisse plus monstrueux encore qu’un stupide vortex.

Il replace soigneusement ses lunettes en haut de son nez, plein de résolution, et s’amuse un instant que la jeune femme ait choisi d’enfiler un pull assorti au pantalon qu’il avait choisi pour lui. Décidément, ils faisaient la paire, tous les deux, aujourd’hui. Et pourtant, ils n’étaient encore que des inconnus quelques dizaines de minutes auparavant – et ils demeurent dans une certaine mesure deux anonymes qu’un coup de force du destin avait flanqué dans le même bateau d’infortune.
Qui est-elle, au fond, cette Sud-Africaine aux cheveux épais, blonds et ébouriffés, qui fume comme une petite locomotive dans son fauteuil de récupération ? Son appartement ressemble à un studio d’étudiant et il y a encore quelques morceaux de résine de cannabis – du shit – éparpillés au petit bonheur la chance sur sa table basse. Nathan retient un sourire en serrant ses mains autour de sa tasse de café bouillante. Apparemment, la nicotine n’était pas le seul poison qui avait su conquérir le cœur de cette femme. Un cœur un tantinet plus rock’n roll que ne le laissait présager la retenue craintive de ses traits, du reste.
Pour sa part, il manifestait quelques réticences embarrassées envers la drogue en général – et il avait toujours poliment refusé le moindre joint qu’on lui avait proposé en soirée. D’abord, les dix premières années de son existence avaient été comme un long spot publicitaire de sensibilisation contre l’usage des stupéfiants. Il avait contemplé les yeux dans les yeux leur ravage sur ses voisins proches à Camden, sur les parents de ses amis, les connaissances de son frangin, et il avait dû lutter de pied ferme pour éradiquer tous les petits stocks d’herbe que celui-ci cachait de temps à autre dans leur chambre, sous son matelas. Maintenant, Léo revenait à peine de son expérience avec la meth – Tina, pour les intimes – après avoir passé la plupart de ses périodes de manque à péter un câble, casser des trucs et pleurer toutes les larmes de son corps chez son petit frère – et, comment dire ?

Vraiment, ça passait toute envie.

Mais ces réserves le concernaient, il n’en faisait un jugement en aucune occasion, ou presque, et une partie de son travail quotidien consistait toujours dans la lutte contre la répression des petits cas de détention de cannabis. Ses yeux quittent finalement les petits résidus verdâtres abandonnés presque sous son nez parmi des magazines et des restes de déjeuner et ils rallient le visage de Noah avec intrigue. Difficile avec ces simples éléments de penser ce que devait être sa vie. Un certain désordre, sûrement, ou de flottement, s’il en croyait le fouillis bariolé de son appartement et même celui de ses cheveux, qui criaient leur indigence et la nécessité d’un soin intensif, après le ravage d’un tissage qu’ils avaient dû endurer quelques mois plus tôt. On n’avait pas idée de forcer les femmes à se torturer le scalp de cette façon.
Dire qu’il a tout le matériel dans sa salle de bains, juste là, pour s’en occuper : un barda de peignes, de lotions, d’huiles et de crèmes pour apprivoiser toutes les tignasses récalcitrantes dans les règles de l’art. Ce serait presque de la tauromachie à ce stade. Malheureusement, ce serait probablement le combat d’un autre jour.

Il pouffe, distrait parmi ses réflexions par la louange inattendue que formule la jeune femme, et un rougissement flatté, tout aussi inopiné, lui monte aux joues tandis qu’il avale une gorgée de café.

« Je suppose ? Je ne voudrais pas remettre en question le flair de votre bon camarade. »

Il sourit malicieusement, depuis le canapé, constatant avec étonnement qu’elle a en partage avec lui le goût pour les éloges les plus magnifiantes et les plus spontanées. Il lance aussi un regard à Glasgow qui lui fait tant d’honneur, puis s’empresse de dresser l’oreille aux confessions que Noah commence finalement à aligner, d’un petit ton hésitant.

La détresse déborde insensiblement sur son visage et il prend aussitôt un air grave, hochant ou secouant la tête respectueusement chaque fois qu’elle exprime une inquiétude et repoussant les alarmes qu’elle avait à son endroit par quelques « ce n’est rien » et d’autres « ne vous en faites pas », soufflés avec tact, sans prendre le pas sur ses paroles.
Elle semble s’égarer, d’une pensée à l’autre, bondissant du coq à l’âne avec une panique grandissante, et il sent, lui, que c’est l’exact moment où il doit être bon d’agir. Le cœur pincé douloureusement d’empathie, Nathan dépose son mug avec beaucoup de calme au milieu des vestiges de désordre, sur la table basse, et prend une poignée de secondes pour réfléchir au moyen le plus sage d’apaiser l’âme bouleversée de Noah.

« Non… non, pas aujourd’hui, murmure-t-il avec précaution, du bout des lèvres, en cherchant le regard ambré de la jeune femme du sien, derrière ses lunettes, je ne travaille pas. Ne vous faites pas tant de tracas pour moi… Ça va aller, on va régler les choses un problème à la fois, d’accord ? »

Il lui esquisse un de ses sourires confiants et sensibles dont il a le secret et défroisse de ses doigts le tissu délicat de son pantalon de costume, sur ses genoux, sans qu’il en soit besoin, calculant derrière son visage serein ce qu’il était autorisé à faire pour elle sans lui faire craindre de mauvaises intentions. Oh, il avait bien conscience qu’il n’avait pas l’air menaçant, Nathan, avec sa carrure d’oiseau-mouche et les traits lisses de son visage d’enfant, quoi qu’il ait eu souvent soin de les vieillir pour tenir tête à ses pairs, tant bien que mal, en choisissant de sérieuses paires de lunettes. Ce n’est pas sérieux, un môme en costume ; au barreau, c’est même un peu ridicule. Et cependant, il savait qu’il y avait encore des gens à qui il pouvait inspirer de l’inquiétude, sans le vouloir bien sûr, parce que malgré sa douceur et sa tranquille honnêteté, il était encore un homme.
Ça peut faire peur, un homme – même un petit bout d’homme – et même dans les circonstances les plus insignifiantes, parce que même le plus ramassé des nabots dans la plus improbable des situations, c’est comme les imbéciles, ça se croit souvent tout permis.

Alors, évidemment, il aimerait pouvoir faire davantage, combler la distance qui les séparait dès maintenant et entourer Noah de ses bras pour la bercer, mais il savait bien au fond qu’il ne pouvait pas toujours jouer aux mamans. C’était la source d’une éternelle frustration pour lui, mais parfois, il fallait s’y faire. Il avait senti, tout à l’heure, quand pour la rassurer, il avait voulu refermer ses mains sur les siennes, que son approche avait d’abord pris la jeune femme à rebrousse-poil. Ils sont après tout deux étrangers et la familiarité d’une étreinte n’a rien d’une évidence entre elle et lui, pour l’instant. Alors il faut trouver un expédient de réconfort – envoyer le bon message. La tâche n’est pas aisée.

Achevant ses délibérations avec mesure, Nathan décide de se lever, un instant à peine avant de se rasseoir, mais cette fois sur la table basse afin de se rapprocher au moins un peu du fauteuil où Noah s’est repliée, le teint plus cireux que jamais. Un sourire ourle délicatement ses lèvres pleines et il prend garde à ne pas poser ses fesses sur des papiers et des magazines qu’il repousse derrière lui avec soin, avant de poser sagement ses mains sur ses genoux. Il est plus petit qu’elle d’une bonne tête désormais, en nette position d’infériorité, et sans doute moins intimidant que jamais, du moins c’est ce qu’il espère. Il soupire avec discrétion, les épaules accablées de lassitude, et hoche gravement la tête à l’égard de la pâle jeune femme en chuchotant d’un ton résigné.

« Bien sûr, c’est terrifiant. »

Son sourire se froisse comme une fleur s’étiole et ses paupières, pendant quelques secondes, sont deux pétales flétris qui se couchent sur ses yeux sombres. Il reste pensif, le regard à demi clos, contemplant sans mot dire l’embrouillamini dont était cousue sa vie depuis quelques mois à présent.

« La première fois, moi, j’ai fait une crise de panique. Mais ça m’arrive tellement souvent, maintenant que… L’effet de surprise ne fait plus long feu. En fait, ce n’est peut-être plus tellement de la terreur que de l’angoisse, ce que je ressens. »

Il passe une main dans sa nuque avec une certaine mollesse, troublé soudain de réaliser que l’épouvante pure et glaçante qu’il avait éprouvée auparavant s’était transformée en mal plus insidieux à mesure que les questionnements sans réponse s’étaient inoculés dans son quotidien. L’angoisse, c’est la crainte qui s’est étirée en longueur et dont on a pris l’habitude. Le stress, tous les jours, d’être avalé par l’Incompréhensible sans crier gare. L’impuissance, surtout, cette intolérable passivité et le néant qui l’étreint comme l’océan cerne un îlot perdu du bout du monde.
Vaguement désorienté pendant quelques secondes, il bat faiblement des cils et se secoue intérieurement, guidé comme un phare par la vulnérabilité qui craquèle le visage de Noah. Après tout, ces confessions étaient destinées à lui confirmer que son effroi était parfaitement normal et légitime, qu’elle était en droit de s’émouvoir, pas à rendre la situation plus oppressante qu’ils ne la subissaient déjà. Alors il hausse des épaules, avec simplicité, et avance prudemment son pied vers celui, fin et laiteux de la jeune femme, et ses orteils en effleurent la courbe d’un geste rassurant, mais fugitif, avant de se reculer avec humilité. Il avait le sentiment d’être encore assez loin, et aussi assez bas, pour ne pas lui paraître envahissant, et en même temps assez près pour qu’elle comprenne qu’il était disponible pour un soutien physique, de nature plus chaleureuse que tous les mots de réconfort qu’il pourrait prononcer, du moins lui semblait-il. Elle n’a plus qu’à lui faire signe en retour, si elle en avait envie.
En attendant, il lui sourit en croisant ses mains sur ses genoux et poursuit avec un léger accent de dérision :

« Et puis… tout bien comparé, ça pourrait être pire. Ma salle de bains aurait pu s’ouvrir en haut des Alpes ou sur une île perdue au beau milieu du Pacifique. Et… eh bien, vous êtes de bonne compagnie, et il faut savoir l’apprécier, ça n’arrive pas à chaque fois. »

Et il le dit avec une parfaite franchise, le regard limpide et ferme, planté droit dans les yeux de Noah qui crépitent de fascinants éclats dorés. Malgré le choc profond dont elle est encore saisie et ce qu’elle disait de la timidité de son caractère, elle reste forte, attentionnée et réfléchie – et Nathan, avec impression, se dit qu’il en faut, de l’audace et du courage, pour se camper comme ça droit dans ses bottes et confronter illico des événements aussi délirants qu’une brèche interdimensionnelle, à l’instar d’un cowboy de western sous le soleil de midi, face au pire malfrat de l’Ouest. Il avait quant à lui longtemps expérimenté le déni et, à la première heure, son esprit quadrillé de rationalité n’avait pas été très friand des explications si pauvres en rigueur méthodologique qu’on avait seulement voulues lui offrir.
Pouf, la magie. Cette blague.

Et il n’avait rien de beaucoup mieux à livrer à Noah pour faire lumière sur tous ces « micmacs », en réalité. Rien que des observations bancales, certes recensées et analysées avec soin, mais sans grande prétention : elles n’aboutissaient que sur de fantasques hypothèses qui ne tenaient ensemble que par la force de l’imagination.
Son regard se porte encore quelques secondes sur la porte ouverte de la salle de bains – la porte de sa salle de bains, en vieux bois de mélèze, avec sa lasure chaleureuse, assortie au parquet, ses rainures caractéristiques, ses nœuds et ses craquelures sombres. Il se masse les doigts en même temps, patiemment, méticuleusement, chassant les petites tensions de stress comme si de rien n’était, plutôt que de se les tordre dans tous les sens comme autrefois, en situation d’embarras. C’est qu’on en apprend, des astuces, en sophrologie, assez en tout cas pour transformer un petit môme inquiet, écrasé par le harcèlement scolaire, en espèce déviante mais épanouie de moine bouddhiste.

« Hm. » Ses prunelles noires, luisantes de sérieux, reviennent à Noah pour lui offrir leurs modestes réflexions. « En plus... Je… ce n'est pas que je m'y connaisse spécialement, mais, disons. » Il plisse ses lèvres d’un air concentré, inspectant de temps à autre cette porte de salle de bains, comme aux aguets. « Vraiment, ça m'étonnerait que le... ce... cette, cette espèce de vortex reste ici de toute éternité. La dernière fois que je suis tombé dans un traquenard de ce genre, c'était dans un café, et la gérante m'a expliqué que le phénomène avait lieu quotidiennement et à chaque fois entre deux heures précises de la journée. A onze heures, c'était le chaos, et à quatorze heures, tout rentrait dans l'ordre. »

Il cille, absorbé par les conclusions que la mécanique sûre de son esprit s’efforce à mettre en œuvre, malgré les brèches évidentes que rencontre toute tentative de raisonnement. Ces brèches, il faut sauter par-dessus, inventer des passerelles pour construire un discours – et Nathan a cette tactique en horreur, en particulier lorsqu’il s’agit de tirer des jugements sur la réalité.
Mais parfois, on n’a pas le choix, c’est ce qu’il faut faire, c’est comme ça, parce que même sans parler de desseins fomentés par des forces surnaturelles, le monde en général ne s’offre pas toujours sur un plateau d’argent à la pensée humaine. La certitude est rare, en vérité, et le besoin d’agir impérieux. On ne peut pas vivre parmi les hommes en ignorant leurs souffrances parce qu’on n’est pas capable de les connaître dans l’immédiat. Le médecin ne soigne pas autrement : il fait des hypothèses et agit, c’est l’urgence qui le commande, et qui dicte ici-bas tout comportement. Et même si ça flanque la trouille à Nathan de devoir toujours s’élancer sans attendre sur ces cordes d’équilibriste, il doit le faire. Alors il le fait. Parce que l’effroi, la terreur, la détresse, ce sont également des maux contre lesquels la seule logique ne peut souvent rien.

« C'est comme si la réalité répugnait à se faire parasiter par ces... ces anomalies, ces choses, et réussissait encore à les refouler, souffle-t-il, animé d’un optimisme fébrile qui éclaire son visage d’une lueur bienveillante, quand il le tourne vers sa camarade d’infortune. C'est nouveau, comme je vous l'ai dit, mais j'ai quand même bon espoir que les lois de ce monde reprennent le dessus... du moins, en ce qui concerne nos deux appartements. »

C’est sans doute un peu naïf, cette opposition manichéenne entre les loyales forces de la nature et le grand méchant paranormal, mais elle a la vertu d’apaiser Nathan. Il préférait penser que le monde était voué à fonctionner d’une certaine façon et que cette bonne vieille Terre lutterait avec toute sa résistance, aussi inconsciente soit-elle, pour continuer de tourner rond. Oh, au fond, bien sûr, il n’aurait rien contre ces excentricités du quotidien, si elles n’avaient pas des répercussions aussi terribles que la misère et les sinistres causés en particulier par le Redémarrage, et les blessés et les morts qui devaient se compter par milliers depuis l’avènement de ces phénomènes. Sans parler de sa propre vie, à lui, Nathan, et de celles de ses clients, de son travail, de ses associés et de sa carrière, qui menaçaient de foutre le camp à chacune de ses téléportations inopinées de l’autre côté du globe. Ces événements pouvaient à l’occasion lui inspirer de la fascination, c’est vrai, mais il était évident que l’humanité se porterait beaucoup mieux sans eux.
Alors quelque part, il était réconfortant de penser que ces calamités ne pouvaient pas venir de ce monde, qu’elles étaient d’ailleurs, et que la nature les repousserait avec hargne, armée de ses lois immuables, comme on boute un envahisseur de ses frontières. Bien sûr, Nathan envisageait aussi que ce qu’on avait coutume d’appeler les lois de la nature n’étaient peut-être qu’une fiction de l’entendement humain. Il avait examiné l’idée que la science se soit plantée sur toute la ligne depuis des centaines d’années et que ce qui arrivait aujourd’hui et qu’on appelait des aberrations venait seulement pointer du doigt et mettre à bas la vanité des hommes et leur idéal de connaissance absolue. Ce ne serait pas une première dans l’histoire de l’humanité. Galilée avec sa vieille lunette astronomique en témoignait depuis sa tombe.

Rien ne permet de trancher entre ces deux théories. L’une donne à espérer, l’autre à prévoir :  aussi, il est sûrement sage de ne pas choisir. Avec l’une, on contourne l’abattement quand il se présente, avec l’autre, on s’arme de son ingéniosité et on tente de s’adapter. Parce que la question se pose, Noah avait raison. Et si le vortex ne se résorbait pas ?
Toujours soucieux, le regard du jeune avocat fait un nouvel aller-retour en direction de la salle de bains et son pouce, affairé à ses massages, roule dans la paume de sa deuxième main à l’affût de chaque tension qui surgirait, afin de les assouplir. Mais, heureusement, la réponse à cette question lui vient assez aisément à l’idée :

« Au pire des cas, j'ai une solution de secours. Vous voyez... La plupart du temps… »

Mais il doit s’arrêter là pour quelques secondes, en réalisant ce qu’il s’apprête à dire avec une grimace. Il secoue la tête, embarrassé. C’est toujours de bien mauvaise grâce qu’il doit s’appliquer à mettre des mots sur ses expériences. Il se tortille un peu sur la table basse. Non pas qu’il soit avare en informations, mais dès qu’il ouvrirait la bouche, ce serait le festival de la loufoquerie, et il ne s’était jamais senti si bête qu’en s’entendant débiter pareil laïus aux oreilles grandes ouvertes des néophytes. Mais il prend vaillamment sur lui et gonfle sa poitrine d’une profonde inspiration avant de se lancer :

« La plupart du temps, ce qui arrive, ce sont de simples… disons, de simples téléportations. Par exemple… On se trouve chez soi, à Philadelphie, on regarde la télé sans se soucier de rien, et d’un seul coup, comme ça, quelque chose vient nous happer et nous recracher plus ou moins inexplicablement en Corée du Sud. »

Il fuit un léger instant le regard hypnotisé de Noah en baissant les yeux, et un petit rictus nerveux lui tord la bouche. Puis, croisant les bras pour soutenir le passage d’un frisson, qui court dans son échine jusque dans son afro mouillée, il observe un moment Glasgow dont la queue frétille en même temps qu’il chouine auprès de sa maîtresse. Distrait, le garçon allonge son bras et lui gratte le crâne d’un geste clément, entre ses deux oreilles tombantes.
Pauvre bête. Toutes ces sottises lui passaient bien au-dessus de la tête. La mine un peu navrée, récoltant quelques coups de langue au passage de la part du chien, il poursuit à l’attention de son aimable hôtesse :

« Je ne vous cache pas que quand le processus – l’effet Davis, comme on l’appelle – quand il ne s’inverse pas, ça pose quelques problèmes… J’ai déjà renvoyé une jeune femme par avion en Allemagne – elle était au désespoir – mais mes finances ne me permettent pas toujours ce genre de… fantaisie. Aujourd’hui, par exemple, ce serait très compliqué de me payer un trajet immédiat pour les États-Unis. Mais hm. »

Une fulgurance inattendue lui traverse le visage et fait crépiter un feu secret au fond de ses prunelles. Le chien gambade comme un fou autour de lui, impatient plus que jamais que cette conversation s’achève pour pouvoir sortir, et jetant ses pattes sur ses genoux, il pèse de tout son poids contre lui pour gagner son attention. Un rire surpris bourdonne dans la gorge de Nathan, tandis qu’il se débat gentiment avec lui tout en essayant de finir ce qu’il voulait dire.

« Par chance… huf, attention, mon gros. Je n’ai jamais eu besoin de le faire. En me concentrant assez fort sur des photos ou des souvenirs, j’ai… J’ai toujours réussi à faire le chemin inverse. »

Il soupire, relativement soulagé d’avoir tiré ce bilan, mais le malheureux Glasgow, lui, s’est découragé entre temps et s’en est allé chouiner au milieu du salon.

« Enfin, bon, conclut-il, levant une mine ragaillardie vers Noah et ses grands yeux clairs, couleur de blé, ombragés de longs cils qui leur donnent beaucoup de douceur. Même si ma salle de bains venait à être retenue trop longtemps en otage dans votre appartement, je devrais malgré tout réussir à m'extirper de ce pétrin. »

Il la remercie pour sa prévenance d’un affectueux signe de tête et d’un sourire reconnaissant. Il ignore bien sûr si cet exposé très farfelu de sa situation la rassurera – encore faudrait-il qu’elle le croie – mais il n’avait pas de meilleure porte de sortie que celle-là, c’est la vérité. Il espère seulement débarrasser un peu la charge qui lui est tombée tout d’un coup sur le dos, à cette grande blonde au cœur valeureux, comme à une vulgaire mule qu’on aurait écrasée sous les fardeaux. Parce que le simple fait qu’une monstruosité semblable soit en train de lui arriver, ce doit être déjà assez lourd à porter pour s’accabler en plus d’alarmes excessives pour autrui.
Bientôt, Nathan porte ses doigts fins à ses lèvres pour les lisser tout en examinant silencieusement, avec circonspection, l’ensemble des colles qu’elle lui avait posées et auxquelles il était important qu’il réplique. Sa jeune figure se fronce d’une furtive contrariété et il tapote contre sa bouche d’un petit geste vif, le regard perdu au plafond.

« C’est stupide, j’ai chez moi des carnets où j’ai mis par écrit toutes mes observations… J’aurais pu vous les donner à lire, plutôt que de vous en faire une conférence… » Il renifle, ennuyé, avant de prendre une résolution qui affermit jusqu’à son maintien et ses mains qui se referment solidement sur ses genoux. Il hoche la tête en fixant Noah bien en face, pour donner à ses paroles le ton d’une promesse. « Je vous en ferai une copie quand je rentrerai chez moi, et je vous les enverrai, je pense. »

Une mine encourageante et affable sur le museau, il retourne pour un temps à ses méditations qui, cependant, achèvent rapidement de le rembrunir et de lui faire froid en-dedans. Il se tait. Enroule et noue sa langue en quelques écharpes de silence, en contemplant le faciès interdit et figé de la jeune femme. Il hésite, un long moment. C’est comme devoir cracher des échardes.

« Je ne voudrais pas… trop vous faire peur. » Non, bien sûr que non. D’un autre côté, pourtant, s’il ne le lui disait tout de suite, il n’en aurait peut-être jamais l’occasion et cela pourrait se révéler fort dommageable pour elle, tôt ou tard… Il doit s’y coller. Mal à l’aise, encore, l’oreille basse tout comme Glasgow qui s’est immobilisé devant la porte d’entrée. Sa voix est un murmure pâle et un peu coupable quand elle passe finalement le seuil de ses lèvres. « Mais si j’ai un conseil à vous donner maintenant… Ce serait sans doute de garder au moins votre passeport sur vous en toute circonstance, ou disons autant que faire se peut, y compris lorsque vous dormez. Quand ces choses-là vous arrivent une fois… J’ai remarqué qu’elles avaient souvent vocation à se répéter… Alors… par mesure de précaution... »

Il fait rouler sa tête d’un côté, puis de l’autre, pour faire passer l’idée que tout cela était quand même très aléatoire. Mais un passeport, cela pouvait se révéler absolument indispensable quand on était parachuté dans un pays étranger, surtout en ces circonstances où il était facile d’avoir des démêlés avec la police. Sa première téléportation avait tout de même fait apparaître Nathan en plein dans le seizième arrondissement parisien, chez une inconnue qui l’avait d’abord confondu avec un cambrioleur.
En ce qui le concernait, à défaut de vivre en trimballant en permanence du matériel de survie sur le dos, il prenait soin aussi de garder sur lui au minimum son portefeuille, quelques billets, et un téléphone satellitaire. Mais il n’allait pas commencer à dresser une liste complète de recommandations, ou du moins pas dans l’immédiat : c’était déjà assez pour Noah de devoir digérer qu’il était possible qu’elle subisse un jour ou l’autre les frais de l’effet Davis.

Toujours attentif aux réactions de la jeune femme, de peur qu’elle finisse bel et bien par s’effondrer, ou à un signe de sa part qui l’inviterait à venir auprès d’elle, il laisse cependant sa vigilance s’égarer du côté du chien, pendant une seconde, alors qu’il commence à gratter à la porte avec insistance.  

« Hmf. Vous savez… on peut continuer de discuter de tout ça en sortant Glasgow, ça ne me pose pas problème. De toute façon, il faudrait sans doute que je reste dans ma salle de bains toute la sainte journée et que je passe mon temps à ouvrir et fermer la porte pour avoir l’espoir de retrouver tôt ou tard le reste de mon appartement… Alors que je sois dans votre salon ou dans la rue, ça ne fait pas vraiment de différence… »

Il faudrait seulement laisser la porte ouverte, peut-être, pour ne pas que la salle de bains s’enfuie pendant leur absence, il n’en savait rien. C’est un peu ridicule comme pensée, d’ailleurs. Il n’y a aucune raison qu’une force de cette envergure, qui forme des brèches spatio-temporelles à tout va, sans s’embarrasser de la distance d’un océan, ait quoi que ce soit à faire de trouver une porte fermée ou ouverte pour faire son œuvre. Non. A moins effectivement de faire un sit-in sur le plancher de sa salle de bains, il y avait peu de chances qu’elle le remporte avec elle quand elle repartirait à Philadelphie. Ce serait peut-être ce qu’il finirait par faire, si l’attente s’allongeait jusqu’à n’en plus finir, mais pour le moment, curieusement, Nathan ne s’inquiétait pas outre mesure. Il avait le week-end devant lui pour rentrer chez lui par ses propres moyens et il savait qu’il en était capable, il l’avait expérimenté, il le sentait maintenant avec certitude au fond de ses tripes.
Ce qui lui donne du souci, en revanche, c’est d’abord la perspective d’encombrer Noah, qui avait l’air d’avoir déjà traversé une dure journée et qui ne s’attendait sans doute pas à avoir un invité sur les bras. Il y a son portable, aussi, laissé dans sa chambre, qui braillera jusqu’à son retour de notifications diverses et d’appels au secours de ses clients et de ses associés – pour qui ce ne serait qu’un week-end habituel, où un bon avocat devait toujours être suspendu à leurs souhaits, et surtout à son téléphone.

Toutefois, ce week-end serait loin de toute habitude, et même de toute illusion de normalité. L’océan atlantique l’en séparait à présent. Bien sûr, se retrouver à des milliers et des milliers de kilomètres de son lieu de travail, sans son Smartphone, lui donnerait déjà quelques sueurs froides, si dans l’immédiat, il n’était pas trop affairé à se faire des nœuds au cerveau pour cette histoire de porte.
Parce que voilà, cette porte, si elle restait ouverte… Cela signifiait qu’elle était également ouverte chez lui – mais ici et maintenant, elle ne s’ouvrait pas chez lui. Elle s’ouvrait chez Noah. Alors imaginons une seconde qu’Anissa monte en haut de la mezzanine, ce matin-là, il était impensable qu’elle puisse seulement voir cette porte de salle de bains puisqu’elle se trouvait là, sous le nez de Nathan, et qu’elle ne pouvait pas non plus exister en deux exemplaires dans l’univers !
Qu’est-ce que ça signifiait, au juste ? Que sa colocataire devait faire face à un encadrement de porte rempli par un trou noir ? Dans les films de science-fiction, ce type d’aberration n’était-il pas censé avaler au moins l’équivalent d’une planète Terre ?
Assommé par ces maudites énigmes, le garçon passe une main un peu moite dans ses cheveux et glisse un sourire crispé d’excuse vers Noah. S’il avait voulu la réconforter, ce n’était pour le moment pas une grande réussite… Il soupire.

« C’est quand même un casse-tête de fou furieux, cette aventure… »
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